27e fév: 1765 à Ferney
Mes yeux ne peuvent guères lire, Monsieur, mais ils peuvent encor pleurer, et vous m'en avez bien fait apercevoir.
Je ne sais quelle impression faisaient sur les Romains les oraisons pour Cluentius et pour Roscius Amerinus, mais il me paraît impossible que vôtre mémoire ne porte pas la conviction dans l'esprit des juges, et l'attendrissement dans les cœurs. Je suis sûr que ce malheureux David est actuellement rongé de remords. Jouïssez de l'honneur et du plaisir d'être le vengeur de l'innocence. Toute cette affaire vous a comblé de gloire. Il ne reste plus aux Toulousains qu'à vous faire amande honorable, en abolissant pour jamais son infâme fête, en jetant au feu les habits des pénitents blancs, gris, et noirs, et en établissant un fond pour la famille Calas; mais vous avez affaire à d'étranges Visigoths.
Mr D'Amilaville vous a t'il parlé d'une autre famille de protestants éxécutée en éfigie à Castre, fugitive vers nôtre Suisse et plongée dans la misère pour une avanture presque en tout semblable à celle des Calas? On croit être au siècle des Albigeois quand on voit de telles horreurs. On dit que nous sommes au siècle de la philosophie, mais il y a encore cent fanatiques contre un philosophe. Jugez quelles obligations nous vous avons.
Mille respects, je vous prie, à Madame de Beaumont qui est si digne de vous appartenir.