1765-04-11, de Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous envoyer ma Consultation sur la tracasserie qu'on veut vous faire, et pour laquelle on n'est pas mieux fondé en Loi qu'en honnéteté.
Mr D'Amilaville m'ayant dit que cela n'étoit pas extrêmement pressé j'ai cru alors entrer dans vos vües de bienfaisance de faire passer Leurs Malheureux entrepreneurs des hôpitaux et M. Sirven avant vous.

Quelqu'un vous mandera peutêtre aujourd'hui que le Roi vient de faire un traitement à La famille Calas. Madame Calas vint me voir hier matin et me fît part qu'elle étoit mandé chés Mr le vicechancelier pour 11 h. pour recevoir la volonté du roi. Vers midi son fils Pierre vînt chés moi me dire que le roi Leur donnoit 36000lt sçavoir 30000lt de gratification et 6000lt pour les frais de leurs voyages. Après les premiers remerciemens ils Lui demandèrent si S. M. leur défendoit par Là La prise à partie. Mr le vicechancr leur répondit, vous avés de bons Conseils, consultés Les et faites ce qu'ils vous diront. Cette réponse a cela de bon qu'elle n'annonce nullement que la prise à partie déplaise au Roi Comme Les toulousains d'ici l'avoient répandu d'abord. On doute néantmoins qu'elle puisse avoir lieu si les esprits des magistrats du Conseil ne sont un peut ranimés, tantae molis est de punir parmi nous des prévaricateurs dont les charges excèdent 40000lt. Le dernier résultat de l'assemblée tenüe chés mr Dargental le mercredi 3 avril a été que pour être Conséquent et raisonnable il falloit aussi prendre à partie les 13 juges de la Tournelle plus coupables encore que les capitouls puisqu'ils étoient préposés par la loi pour les rectifier. Pour cela il faut La permission du conseil et l'on craint fort que ces petits rois plébéiens ne paroissent assés puissants pour que par une foiblesse honorée du nom de politique on refuse de la permettre. On dit même qu'ils font à Toulouse La bonne Contenance de vouloir faire imprimer La procédure, et qu'ils ont rendu arrêt portant défense d'afficher notre jugement d'absolution. Mais ce dernier fait n'est pas confirmé. On pense qu'il n'y a que des défenses verbales qui après tout produiront le même effet.

Je viens à Mr Sirven. Je m'en occupe fortement et j'espère Le tirer d'affaire et le rendre à sa patrie et à son état de citoyen. J'ai déjà préparé quelques uns de mes Confrères à cet effet, et votre lettre imprimée a merveilleusement disposé les esprits. Je vous prie d'avoir la bonté de lui faire passer la lettre et le mémoire cyjoints et de lui dire de faire la plus grande diligence. Je me trouve heureux, Monsieur, d'être ainsi votre Coopérateur pour des actions si intéressantes et si honnêtes. Soyés sûr qu'il ne s'en présentera aucune autre que je ne La saisisse avec Le même plaisir. C'est en essayant de marcher ainsi sur vos traces que je pourrai me dire avec plus de confiance et de vérité

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Elie de Beaumont

Madame de Beaumont vous présente ses hommages.

Mr d'Amilaville vient de me faire remettre à l'instant la copie de la sentence de Mazamet. C'est le comble de l'absurdité et de l'horreur. On ne pourroit croire L'existence d'une telle pièce sans l'avoir lüe. Un père et une mère dûment atteints et Convaincus du crime de parricide et pour cela seulement pendus, et les deux filles dûment atteintes CONVAINCUES et Complices dud. crime de parricide et pour toute peine Condamnées à assister à l'exécution de leurs père et mère, et au bannissement hors la ville et jurisdiction de Mazamet, permis à elles de se promener sur la frontière de cet immense territoire de ce Mazamet. Bon dieu à quels tems sommes nous réservés de voir rendre de pareils jugements, de les voir confirmer par un parlement, et par un parlem͞t qui venoit d'avoir une si cruelle leçon. Laissez moi faire, Monsieur, et soyés sûr que Votre Sirven que j'appellerai aussi bientôt notre Sirven, sera dans peu satisfait avec éclat.