1763-07-23, de Jean Baptiste Pigalle à Voltaire [François Marie Arouet].

… Lorsque je fus choisi pour l'exécution de ce monument, j'avais encore l'esprit frappé d'une pensée que j'ai lue autrefois dans vos ouvrages, mais que je n'ai pu retrouver depuis.
Vous y blâmez l'usage dans lequel on a été jusqu'à présent de mettre autour des monuments de ce genre des esclaves enchaînés, comme si on ne pouvait louer les grands que par les maux dont ils ont accablé l'humanité.

Echauffé par cette pensée et quelque satisfaction que je trouvasse du côté de mon art à traiter des figures nues, j'ai pris une route différente dans mon nouvel ouvrage.

En voici le sujet.

J'ai posé la figure de Louix XV debout, sur un piédestal rond; je l'ai vêtu à la romaine, couronné de lauriers. Il étend la main pour prendre le peuple sous sa protection.

Aux deux côtés du piédestal sont deux figures emblématiques, dont l'une exprime la Douceur du gouvernement et l'autre la Félicité des peuples. La douceur du gouvernement est représentée par une femme, tenant d'une main un gouvernail et conduisant de l'autre, par la crinière, un lion en liberté pour exprimer que le Français, malgré sa force, se soumet volontiers à un gouvernement doux. La félicité des peuples est rendue par un citoyen heureux, jouissant d'un parfait repos au milieu de l'abondance, désignée par la corne qui verse des fruits, des fleurs, des perles et d'autres richesses. L'olivier croît auprès de lui; il est assis sur des ballots de marchandises; il a sa bourse ouverte pour marquer sa sécurité.

Pour suppleér au symbole de l'âge d'or, on voit à l'un de ses côtés un enfant qui se joue avec un loup. J'avais d'abord mis le loup et l'agneau qui dorment ensemble; mais messieurs du Corps de ville, à cause du proverbe: quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes ont voulu absolument que je supprimasse l'agneau….