aux Délices 23 Décemb. 1761
Vraiment c'est un pot de vin du marché.
Nous venons d'en boire aussitôt qu'il est arrivé aux Délices, et nous avons répété le vers de votre fontaine, qui pour jouer sur le mot, est digne de la Fontaine:
Jugez comme vous avez été fété, loué, célébré par madame Denis et par nos convives. Vraiment ce n'est pas de belle eau claire que vous faites boire à vos agneaux des Délices. Vous vous êtes souvenu que vos agneaux sont bourguignons. Le président fétiche ne nous aurait jamais fait boire que du vinaigre, ou de l'eau bourbeuse.
Que je suis enchanté de vos estampes mon digne et grand magistrat! Vous n'avez cru graver que votre reconnaissance, et vous avez gravé votre gloire. Votre inscription pour monsieur de Berbisi, est simple, noble, précise, affectueuse et modeste. C'est le cœur qui parle avec esprit sans chercher L'esprit. J'ay le malheur jusqu'à présent de n'avoir pu être que le bienfaicteur de l'églize. J'ay fait bénir la mienne en grande cérémonie. Mon grand christ en Appollon du Belvedere, doré comme un calice, attire tous les curieux. Quelle piété! dit on. Je l'avais toujours prévu que ce vieux mauvais plaisant finirait par être dévot. Voylà ce que disent les bonnes âmes, et on assure que tous les mondains finissent par là. C'est la mode de tous les temps.
Je ferais une œuvre bien plus méritoire si je pouvais arracher mon petit pays de Gex à la tirannie des fermiers généraux. Mais il est plus aisé de s'accomoder avec dieu qu'avec eux, aussi sont ils maudits par st Mathieu qui les connaissait bien pour avoir été leur commis.
Puis que je suis en train sur ces belles matières je prends la liberté de vous envoier un petit sermon qu'on m'a fait tenir ces jours passez et que vous ne montrerez pas à l'ambassadeur de Portugal. Le rabin Akib me paraît un bon diable. Vous pensez sans doute comme luy au judaïsme près. Personne n'a moins l'air d'un juif que vous.
Nous vous adorons à Ferney et aux Délices, du culte de dulie, et de la plus tendre dulie.