[c. 5 January 1744]
La demande que vous me faites, monsieur, si vous en imposeriez plus à la république en portant vos forces en Flandres, qu'en Allemagne, est très délicate.
Il y a beaucoup de choses à dire pour et contre. Je me contenterai de vous exposer les réflexions que notre ami et moy y avons fait, et qui sont fondées sur la disposition présente des esprits. Le gros de la nation désire la paix et il n'y a qu'un petit nombre de personnes intéressées par différents motifs à souhaiter la guerre. Plusieurs raisons donnent de forts soupçons que le principal motif en est dangereux pour la forme du gouvernement; ce petit nombre aussi intéressé à cacher ses véritables desseins qu'à les voir accomplis, fait son étude de fasciner les yeux de quantité de gens bien intentionnés dans le fond, mais tirans au possible en ce qui regarde les affaires et trouve moyen de les faire concourir à leur but en leur persuadant qu'ils travaillent au bien public. Il s'agit donc de désabuser les uns et de rendre inutiles les desseins des autres. La France par les grands préparatife qu'elle fait pour pousser la guerre avec vigueur a diminué considérablement l'illusion de sa prétendue impuissance et faiblesse. Il est assez facile de voir qu'elle ne craint point la guerre ni les suites de notre trop de soin en tout ce qui pourait faire croire le contraire. Par ce moyen elle détruira une illusion dont les effects ont été si avantageux pour ses ennemis dans ce pays. Il ne suffit pourtant pas pour retenir l'état que la France ne craigne pas la guerre. Il faut le leur faire craindre. Vous savez, monsieur, qu'en prenant la résolution de faire marcher les troupes les états y ajouteront qu'il fallait travailler à éloigner la guerre des frontières voisines de la république en envoyant vos forces en Allemagne. Les anglais trouveront moyen de les faire persister dans leurs sentiments guerriers parce qu'ils ne risqueront que de l'argent, car ils regardent comme des enfants perdus les vingt mille hommes accordés à la reine de Hongrie.
Il faut leur faire voir le danger de plus près pour qu'il fasse impression sur eux. Je conviens que l'armée que vous aviez en Westphalie sous les ordres du maréchal de Maillebois a occasionné la dernière augmentation, mais ce ne fut que par la conduite peu circonspecte de ce maréchal et de quelques officiers, encore n'est il pas douteux un moment que si cette armée y est restée, les états n'auraient osé grouiller. Le même expédient vous reste supposé que vous ayez assez de troupes pour opposer une armée à celle des alliés aux Pays Bas, qui je crois sera à peine forte de soixante mille hommes, et envoyer un corps de vingt à vingt cinq mille hommes du côté de la Meuse, et du bas Rhin, en vous tenant sur la défensive au Pays bas.
Il n'y a qu'un inconvénient à craindre qui est que la grandeur du danger n'excite le peuple à la révolte, et à demander un stathouder.
En faisant usage de ces réflexions de grâce ne me nommez pas, dites qu'elles vous ont été envoyées par un régent. Vous me perdriez absolument.