ce 20 [February 1741]
Voylà je croi mon cher ange la seule occasion de ma vie où je pusse être fâché de recevoir une lettre de madame d'Argental, mais puis que vous avez tous deux, au milieu de vous maux (car tout est commun), la bonté de me dire où en est votre fluxion, ayez donc la charité angélique de continuer.
Vous êtes en vérité les seuls liens qui m'attachiez à la France. J'oublie icy tout hors vous, et je ne songe à Mahomet qu'à cause de vous. Que madame Dargental daigne donc encor m'honorer d'un petit mot. Buvez vous baucoup d'eau? Je me suis guéri avec les eaux du Vezer, de l'Elbe, du Rhin, et de la Meuse, de la plus abominable ophtalmie dont jamais deux yeux aient été affublez, et cela mon cher ange en courant la poste au mois de décembre. Mais
Elle s'intéresse à votre santé comme moi, elle vous le dit par ma lettre, et vous le dira elle même, cent fois mieux. Je fais transcrire et retranscrire mon coquin de prophète. Sachez que vous êtes le mien, et que tout ce que vous avez ordonné est accomply à la lettre, sans changer comme dit l'autreun iotaà votre loy.
Est il vray que Le despotisme des 1ers gentilshommes a dérangé la république des comédiens? La tribu Quinaut quitte le téâtre! c'est un grand événement que cela, et je croi qu'on ne parle à Paris d'autre chose. On dit icy les Prussiens battus par le général Brown, mais pour battre une armée, il faut en avoir une, et le général Brown n'en a pas, que je sache.
Et puis! qu'importe! quand Dufrene quitte, tout le reste n'est rien. Adieu mon cher amy, mon conseil, mon apuy à qui je veux plaire; que les rois s'échignent et s'entremangent, mais portez vous bien.
V.