1744-04-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Votre frère étoit party de Cirey, ma chère enfant, quand votre lettre du 17 avril m'est parvenue.
Je luy avois déjà parlé de la charge de commissaire des guerres mais soit qu'il craignit que sa grande jeunesse ne fût un obstacle soit qu'il fût enivré du plaisir d'être lieutenant d'infanterie, il partit pour aller se faire recevoir à la Charité où est son régiment le quel n'apartient plus à m. le duc de Nivernois et est à m. le marquis de Castres; de la Charité il compte aller trouver m. du Chastellet sur le Rhin et servir sous luy en qualité d'aide de camp. Cependant Mr de Montigni m'écrit qu'il luy conseille de prendre la charge de correcteur des comptes; je prends le party de luy écrire à la Charité, et de luy présenter ces deux partis. Celuy de commissaire des guerres me paroît plus convenable, surtout après l'offre des bontez de Mr de Sechelles. Je pense aussi que ce seroit un arrangement plus désirable pour vous. J'auray sa réponse incessamment, et je ne doute pas qu'il ne vous instruise de sa résolution, s'il en a une.

Cependant ma chère nièce quittez au plus vite une ville où tout doit augmenter votre douleur en vous retraçant votre perte. Allez à Paris vous loger chez votre sœur en attendant que vous puissiez vous arranger pour mener une vie commode et selon votre goust. Plût à dieu que nous pussions loger ensemble. Ce seroit la consolation de ma vie, et je tâcherois d'en faire la vôtre. Je vous embrasse bien tendrement ma chère nièce. Si mr de Sechelles est à Lile, je vous prie de luy dire combien je luy suis attaché.