V͞s saués Monsieur que l'on ne croit les choses que l'on désire viuement que quand elles sont arriuées, voilà come ie suis sur votre voyage icy.
Il y a vn an que ie v͞s attens, et ie me vois sur le point de quitter Cirey sans auoir pu auoir le plaisir d'y passer quelque tems auec v͞s. Ie vais très reëllement en Flandres au mois de mars. Ie ne sais ce que v͞s entendés par le vis à vis de la Flandres, il y en a vn qui est l'Angleterre, où ie crois que ie désirerai d'aller toute ma vie. Il est vray que ie ne v͞s ay jamais parlé ni de la Flandres ni de mes procès parce qu'il n'i a que depuis six mois que cette petite aubeine m'est aduenuë. Vn cousin de m^r du Chastellet qui s'est retiré chés lui et qui lui a confié toutes ses affaires en est la cause. Ce sont ce qu'on peut apeller de grandes et dificiles affaires. V͞s le croyés bien puisqu'elles me font quitter Cirey. Si v͞s aués quelque amitié p͞r moi ie ne le quitterai pas sans v͞s. Ie craignois mortellement le retour de m^rs du Perou, mais puisqu'ils ne reuiennent point, ie ne vois pas que rien puisse v͞s empêcher d'accomplir vos promesses. Voilà le comencement de l'année, c'est le terme que v͞s m'aués marqué. Si v͞s voulés me mander le jour de votre départ ie ferai trouuer vne chaise de poste auec des cheuaux à moi qui v͞s amesneront dans vn jour de Troyes icy, et ie me flatte que la réponse à cette lettre sera la nouuelle de votre départ.

M^r de V. s'est chargé de v͞s faire tenir les faibles marques de notre compassion p͞r les Lapones. Ie voudrois de tout mon cœur pouuoir les placer, et quand v͞s serés icy n͞s verrons si on ne pouroit point les mettre dans quelque couuent des enuirons. Ie contribuerois volontiers à leur pension, qui seroit à meilleur marché, qu'à Paris.

J'ay reçu une lettre de du Fey très sage sur ses nouuelles idées sur les couleurs. Ie crains qu'il ne soit obligé de les abandoner, mais ie vois avec plaisir par sa lettre qu'il ne se fera pas tirer l'oreille si les expériences lui manquent. Ie plains bien le pauvre la Condamine, il eût été plus heureux s'il se fût enrollé sous vos drapeaux. Ie v͞s prie quand v͞s lui escrirés de lui dire mille choses p͞r moi. Il a dû receuoir par du Feÿ de très gros paquets de Cirey pleins de vers et de prose il y a un an ou deux.

Ie v͞s attens monsieur come la seule personne qui puisse augmenter la doulceur et les charmes de ma solitude et me consoler de la quitter car je me flatte que quand ie v͞s tiendrai une fois, ie ne v͞s lâcherai pas sitost.

M^r du Chastellet et m^r de V. v͞s font mille complimens. Bon jour et bon an.

ce 28^e 10^bre 1738