1769-07-02, de Frederick II, king of Prussia à Jean Le Rond d'Alembert.

… L'édifice de l'église romaine commence à s'écrouler, il tombe de vétusté.
Les besoins des princes qui se sont endettés, leur font désirer les richesses que des fraudes pieuses ont accumulées dans les monastères; affamés de ces biens, ils pensent à se les approprier. C'est là toute leur politique. Mais ils ne voient pas qu'en détruisant ces trompettes de la superstition & du fanatisme, ils sapent la base de l'édifice, que l'erreur se dissipera, que le zèle s'attiédira, & que la foi, faute d'être ranimée, s'éteindra. Un moine, méprisable par lui même, ne peut jouir dans l'état d'autre considération que de celle que lui donne le préjugé de son saint ministère. La superstition le nourrit, la bigoterie l'honore & le fanatisme le canonise. Toutes les villes les plus remplies de couvents sont celles où il règne le plus de superstition & d'intolérance. Détruisez ces réservoirs de l'erreur, & vous boucherez les sources corrompues qui entretiennent les préjugés, qui accréditent les contes de ma mère l'oie, & qui dans le besoin en produisent de nouveaux. Les évêques, la plupart trop méprisés du peuple, n'ont pas assez d'empire sur lui pour exciter fortement ses passions, & les curés, exacts à recueillir leurs dîmes, sont assez tranquilles & bons citoyens d'ailleurs pour ne point troubler l'ordre de la société: il se trouvera donc que les puissances, fortement affectées de l'accessoire qui irrite leur cupidité, ne savent ni ne sauront où leur démarche les doit conduire: elles pensent agir en politiques & elles agissent en philosophes. Il faut avouer que Voltaire a beaucoup contribué à leur aplanir ce chemin; il a été le précurseur de cette révolution, en y préparant les esprits, en jetant à pleines mains le ridicule sur les cuculati& sur quelque chose de mieux: il a dégrossi le bloc auquel travaillent ces ministres, & qui deviendra une belle statue d'Uranie, sans qu'ils sachent comment. Après d'aussi belles choses, je suis un peu fâché que ce même Voltaire fasse si platement ses pâques, & donne une farce aussi triviale au public; qu'il fasse imprimer sa confession de foi, à laquelle personne n'ajoute foi, & qu'il souille la mâle parure de la philosophie par les accoutrements de l'hypocrisie dont il s'affuble. Pour moi, il ne m'écrit plus; il ne me pardonnera jamais d'avoir été ami de Maupertuis: c'est un crime irrémissible. On dit qu'il s'est brouillé avec son évêque, que celui là s'est plaint en cour, & que le très chrétien a prononcé contre Voltaire, que la peur a glacé le pauvre philosophe & qu'il s'est prêté à ces mômeries de pâques & de l'autel, pour ne pas pousser à bout la patience des puissants dont il n'a pas mal abusé. Cet homme aurait eu trop d'avantages sur ses contemporains, s'ils n'étaient pas rachetés par quelques faiblesses: il est haineux comme le dieu d'Abraham, d'Isaac & de Jacob, il punirait jusqu'au quatrième degré la génération des des Fontaines, des Rousseau, des Fréron, des Pompignan &c. Cela n'est pas dans le goût de l'académie ni du portique, car vous autres philosophes

Calmes au haut des cieux que Newton s'est soumis
Vous êtes sourds aux cris d'impuissants ennemis;
Un généreux mépris convertit en louange
La voix qui contre vous croasse dans la fange.

C'est ce qui doit arriver à tous ceux qui savent dédaigner de ridicules accusations; car qui croira sur la parole du gazetier du bas Rhin qu'on tue un académicien octogénaire en le contrariant ou en le persifflant? Ce genre de mort a été ignoré jusqu'à nos jours & le sera éternellement. Les calomnies fines sont dangereuses; mais en vérité les platitudes n'attirent que du mépris….