1741-03-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
A moy Gresset, soutiens de ta lire éclatante
Les sons déjà cassez de ma voix tremblotante,
Envoye en Silésie un perroquet nouvau
Qui vole vers mon prince aux murs du grand Glogau,
Un oisau plus fameux et plus plein de vermeilles,
Qui possède cent yeux, cent langues, cent oreilles,
Le courier des héros déjà dans l'univers
A prévenu tes chants, a devancé mes vers;
La renommée avance, et sa trompette efface
La voix du perroquet qui gazouille au parnasse.
On l'entend en tous lieux cette fatale voix
Qui déjà sur le trône étonne tous les rois.
Du sein de l'indolence éveillez vous, dit elle,
Monarques paraissez, Federic vous apelle,
Voyez, il a couvert, au milieu des hazards,
Les lauriers d'Apollon du casque du dieu Mars.
Sa main dans tous les temps noblement occupée,
Tient la lire d'Achille, et porte son épée.
Il pouvoit mieux que vous dans un loisir heureux,
Cultiver les baux arts et caresser les jeux.
Sans sortir de sa cour il eût trouvé la gloire,
Le repos eût encor annobli sa mémoire,
Mais des bords du Permesse il s'élance aux combats,
Il brave les saisons, il cherche le trépas,
Et vous, vous entendez sans que rien vous allarme,
Ou les rêves d'un bonze, ou les sermons d'un carme;
Vous allez à la messe, et vous en revenez.
Végétaux sur le trône à languir destinez,
N'attendez rien de moy, mes voix et mes trompettes
Pour des rois endormis sont à jamais muettes,
Ou plutôt vils objets de mon juste couroux,
Rougissez et tremblez si je parle de vous.
Ainsi la renommée en volant sur la terre
Célébroit le héros des arts et de la guerre.
Vous, enfans d'Apollon par sa voix excitez,
Perroquets de la gloire, écoutez, et chantez.

Ah sire les honneurs changent les mœurs: faut il parce que votre majesté se bat tous les jours contre de vilain houzards aux quels elle ne voudroit pas parler, et qui ne savent pas ce que c'est qu'un vers, qu'elle ne m'écrive plus du tout? Autrefois elle daignoit me donner de ses nouvelles, elle me parloit de sa fièvre quarte. Aprésent qu'elle affronte la mort, qu'elle prend des villes, et qu'elle donne la fièvre continue à tant de princes, elle m'abandonne cruellement. Les héros sont des ingrats. Voylà qui est fait. Je ne veux plus aimer votre majesté, je me contenteray de L'admirer. Hélas puisque je l'ay vue il faut bien que je l'aime malgré moy! N'abusez pas sire de ma faiblesse. On nous a conté qu'on avoit fait une conspiration contre votre majesté. C'est bien alors que j'ay senti que je l'aimois.

Je voudrois seulement sire que vous eussiez la bonté de me dire, la main sur la conscience, si vous êtes plus heureux que vous ne l'étiez à Rinsberg. Je conjure votre majesté de satisfaire à cette question philosophique.

Profond respect.

V.