1740-11-29, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Voltaire,

La nouvelle la plus agréable que vous puissiez me donner, est l'espérance de vous retrouver encore vendredi à Berlin.
Je serais bien aise que ce séjour ne vous déplût pas tout à fait, ce qui me ferait naître la flatteuse idée de vous y revoir un jour. Si j'avais la santé de Valori, le loisir d'un capucin, et la tête aussi vide qu'un Suisse je vous écrirais plus amplement, mais je n'ai ni le temps de faire une longue ni une courte lettre;

Je n'ai le temps de dormir ni d'écrire,
Quelque démon ou bien quelque lutin
Me rend rêveur, me tracasse, et m'inspire
Un cauteleux et martial dessein,
A moi chétif qui ne pensais qu'à rire
A manier la bouteille et la lyre
En me moquant du monde et du destin,
La renommée avançant à grand train
Vient cependant dans ces lieux pour me dire
Jusqu'à quel point, l'on aime et l'on admire
Où l'on revoit et surtout à Berlin
Ta profondeur et ton esprit.

Voilà des mauvais vers mais qui peut en faire de bons l'esprit rempli de cent mille détails dont la quintessence ne ferait pas un vers de perroquet de Nevers? Il faut avoir l'esprit libre pour travailler et le temps pour la correction. Je vous demanderai excuse à Berlin de ce que je vous ai écrit. J'espère de vous y embrasser vendredi. Adieu.

Federic