6 avril 1735
J'eus toujours grande foy pour certain merveilleux
Que le Peuple simple et profane
Ose traiter de fabuleux,
L'oiseau bleu, Persillet, fleur d'Epine et Peau d'asne,
Et ma crédulité me mérita des dieux
D'estre averti pendant ma vie
Non de ce qui vient de fascheux
Non par quelque spectre hideux
Mais par lettre aimable et polie
De ce qui m'arrive d'heureux.
Je voulois savoir par exemple
Quand Voltaire à Paris rapelé par la Cour
Ramèneroit le Goust en cet heureux séjour.
Je suis en amitié vif ainsy qu'en amour,
J'aurois bâti je crois un temple
A qui m'eût apris son retour.
Dans un songe flateur mon bienfaisant Génie
M'a fait voir sur un char Voltaire dans Paris,
En échange d'encens et des fleurs et des cris
Qu'en Pompe Luy donnoit la France réjouie,
Melpomene, l'amour, les Grâces, Polymnie
Distribuoient au peuple et content et surpris
Un Poëme, une tragédie,
Monumens universels que Voltaire a Polis
Pour éterniser sa Patrie.
Je m’éveille au milieu des aplaudissements
Et des honneurs et de l'encens
Dont l'odeur ennyvroit mon âme trop émüe,
Perdant avec chagrin les doux égarements
De ma tendresse prévenue,
Quand sur ma table ce matin
Un écrit replié d'une divine main
M'a vérifié mon délire.
Ne doutés plus des dieux, vostre songe est certain,
Voltaire est de retour et partant on l'admire.
J'ay reconnu les traits de mon charmant Lutin
Et j'ay dit à genoux, daignés toujours m'instruire
Tendre interprète du destin,
Vous avez l'Esprit masculin
Mais je vous crois de sexe féminin
A vostre manière d’écrire.
J'ay consulté depuis nostre sage Formont
Sur ce commerce étrange:
Par l'Esprit, m'a t'il dit, c'est un subtil Démon,
Mais sous la figure d'un ange.