à Bruxelles ce 3 aoust 1741
Ainsi donc sire votre majesté ne combattra que des princes et laissera Jordan combattre les erreurs sacrées de ce monde. Puisqu'il n'a pu devenir poète auprès de votre personne, que sa prose soit digne du roy que nous voudrions tout deux imiter. Je me flatte que la Silésie produira un bon ouvrage contre ce que vous savez, après les baux vers qui me sont déjà venus des environs de la Neiss. Certainement si votre majesté n'avoit pas daigné aller en Silesie jamais on n'y auroit fait de vers français. Je m'imagine qu'elle est aprésent plus occupée que jamais. Mais je ne m'en effraye pas, et après avoir reçu d'elle des vers charmants le lendemain d'une victoire il n'y a rien à quoy je ne m'attende. J'espère toujours que je seray assez heureux pour avoir une relation de ses campagnes comme j'en ay une du voiage de Strasbourg. Votre gloire sire est d'autant plus grande qu'on tâche de l'obscurcir. On a dit des choses à Vienne qu'on a redit ensuitte à Paris, qui font voir que la calomnie poursuit toujours les grands hommes. Il me semble pour moy que si j'avois eu le bonheur de voir votre majesté à Molvits, j'aurois embouché touttes les trompettes de la renommée.
On attend de votre majesté de nouvaux miracles, et voicy le temps où vous les préparez. Ne sera t'il point indiscret de choisir ce temps de tumulte, de ligues et de combats pour luy parler d'un de mes paisibles hommages?
J'avois dédié à votre majesté cette Henriade qu'elle vouloit faire imprimer, et dans cette dédicace il y avoit des vers contre les rois qui font la guerre.
Il n'y a plus moyen de parler ainsi. La bataille de Molvits vous a fait un des grands faux dieux comme un des grands héros, et voicy le cas d'adorer ce que j'ay blasphémé.
J'aprends qu'on fait actuellement une nouvelle édition de la Henriade; votre majesté permettra t'elle que je substitue cette dédicace que voicy?
Je ne peux sire rien imprimer touchant votre personne sacrée sans sa permission. Je la demande; et comme cette majesté très occupée ne daigne pas toujours répondre bien exactement, je prendray son silence pour permission, à peu près comme celuy qui faisoit assigner son curé pour luy aporter le bon dieu faute de quoy, disoit-il, la présente en tiendra lieu.
Vous voylà sire, plus que jamais arbitre d'une partie de L'Europe, mais vous n'en aimerez pas moins les vers, les belles lettres, les arts, et surtout je vois que vous presserez le conseiller privé, de finir sa traduction de Tindal, et de me l'envoyer comme il me l'a promis. Sire je suis plus fâché que jamais d'être loin de votre majesté. La nature sait bien que j'étois né son sujet, pourquoy donc ne sui-je pas à Breslau avec le philosofe Jordan?
Continuez sire à vous couvrir de gloire, mais daignez aimer un peu celuy à qui cette gloire est si chère, le plus respectueux, le plus dévoué, le plus bavard de vos admirateurs, etc. etc. etc. etc.
V.