1740-11-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Il tombe pour jamais ce cédre dont la tête
Défia si longtems les vents et la tempête
Et dont les grands ramaux ombrageoient tant d'Etats;
En un instant frapée,
Sa racine est coupée,
Par la faux du trépas.
Voilà cet empereur et ses grandeurs suprêmes!
Il orna vainement de trente diadèmes
Son front toujours chargé de tristesse et d'ennuy,
Il meurt, il ne luy reste,
Qu'un sépulcre funeste
Qui n'est pas même à luy;
Son corps n'est déjà plus que poussière et que cendre
Et si jamais son nom se fait encor entendre
On dira seulement: il régnoit, il n'est plus;
Eloges funéraires
De tant de rois vulgaires
Dans la foule perdus.
Ah s'il avoit luy même en ces plaines fumantes
Qu'Eugene ensanglanta de ses mains triomphantes,
Porté ses derniers pas, encor que chancellants,
Et rafermi l'empire
De qui la gloire expire
Sous les fiers ottomans;
S'il n'avoit point langui dans sa ville allarmée,
Redoutable en sa cour aux chefs de son armée,
Punissant ses guerriers, fuyant ses ennemis,
S'il eut été terrible
Au Sultan invincible,
Et non pas à Wallis;
Ou si plus sagement encor et détournant la guerre
Il eut par ses bienfaits ramené sur la terre
Les baux jours, les vertus, l'abondance et les arts,
Et cette paix profonde
Que sut donner au monde
Le second des Cesars;
La renommée alors en étendant ses ailes
Eut écarté de luy ces ombres éternelles
Qui couvrent sa mémoire ainsy que ses grandeurs,
Et son nom respectable
Eut été plus durable
Que ceux de ses vainqueurs.
O vous jeune héros, vous sage, vous grand homme,
Vous, seul de tous les rois qu'avec plaisir on nomme,
Qui régnéz sans ministre et non pas sans amis,
Coeur adorable et juste
Digne du trône auguste
Où le ciel vous a mis,
Voyéz l'afreux néant des souverains du monde.
En vain sur cent états leur vanité se fonde:
Le tems vient, le trait part, ils sont au monument.
Il faut que tout périsse
Et la seule justice
Dure éternellement.

Sire pour ne pas parler toujours finance voicy une ode. Elle est dans une mesure que je croi nouvelle; c'est à vos oreilles harmoniques à en juger. Elles sont faites pour décider des sons comme votre âme pour juger souverainement des pensées. La mort de l'empereur pouroit bien occasioner un nouveau sujet de poème épique dont l'exorde sera à Francfort.

Mon voiage de Rensberg me parait rompu. Qui l'eût cru que la mort de Charles 6 dût me faire du mal? Mais l'éclat d'une colonne qui tombe peut éborgner un malheureux.

J'en reviens toujours à Machiavel et à votre gloire et à la nécessité indispensable que je fasse une nouvelle édition pour en envoyer des exemplaires à tous ceux que la première de Vanduren aura pu effaroucher et qui n'ont point reçu des présents de la mienne. Je compte que chaque individu à qui j'en envoye est un nouvau sujet que j'aquiers à votre majesté. Le temps presse, je prends sur moy hardiment cette nouvelle petite entreprise.

J'attends les ordres de votre Majesté,

pour cette division de pension, faveur toujours chère à madame du Chastellet quand même il arriveroit un contretemps qui empéchât d'en profiter.
pour Luiscius et son fils.
pour votre comédie à laquelle il faut songer sérieusement, sans perdre de tems, faute de quoy on ne pouroit en fournir une en juin à votre majesté. J'ay déjà retenu de bons acteurs et si votre Majesté l'ordonnoit je pourois pour ce carnaval fournir déjà quelque chose de passable.
pour Desmollards, à qui je feray voir en passant des caractères pour l'imprimerie royalle, les quels coûteront une fois moins que ceux que proposoit Bernard.

Que ne pui je employer sire, tous les moments de ma vie à vous servir comme je les employe bien certainement à vous aimer.

Que je suis fâché que votre majesté n'ait point eu Mushenbrock dans son académie; quel homme pour les expériences, pour la connaissance de la vraye phisique! bon médecin, grand chimiste, d'un travail infatigable, d'une simplicité de moeurs digne de son mérite, ne s'arrogeant rien, ne voulant point dominer, songeant seulement à servir, ne faisant cas de l'apareil des calculs qu'autant qu'il peut être quelquefois utile dans la pratique, estimant plus une tournebroche bien fait que toutes les courbes du 4me genre. Si Jordan luy avoit proposé quelque chose, il seroit parti; mais il a une femme et des enfans, on ne luy faisoit aucune condition et ses compatriotes luy en faisoient. Je ne désespérerois pas malgré son nouvel établissement, de l'aquérir à votre majesté sans la compromettre, si elle le vouloit. Cela s'apelle aller en recrüe pour de grands hommes.

Je suis sire d'un très grand homme qui est si je ne me trompe

Votre Majesté

Le très humble, très obéissant, très admirateur

Voltaire