1751-08-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Par ma foy ces anglais que j'avais crus si sages
N'ont plus ny rime ny raison.
Avec Pope, avec Adisson
Le bon goust et les bons ouvrages
Ont passé la barque à Caron.
Le soleil sur leur horizon
N'amène plus que des nuages.
Il faut que chaque nation
Tour à tour ait ses avantages.
Minerve, Themis, Apollon
Sont allez sur d'autres rivages:
Assez loin de George second,
Et c'est à Sans Souci dit on
Qu'il faut chercher dans ses voiages
Ce qu'on perdit dans Albion.

Sire, le fait est qu'un anglais atrabilaire vient d'émouvoir ma bile. Cet homme dans un écrit pédantesque reproche à l'autheur des mémoires de Brandebourg de se contredire, et sa preuve est que l'illustre autheur loue et blâme les mêmes personnes, croit que la réforme était nécessaire dans l'église et ensuitte avoue les fautes des réformez etc. Si je voulois moy, louer l'auteur de ces mémoires, je me servirais des mêmes raisons que cet anglais aporte contre luy; il faut avoir une tête bien enivrée de l'esprit de party, et de l'esprit de sistème pour exiger qu'un historien, aprouve ou condamne sans restriction. Est il possible que ce critique n'ait pas senti combien il est digne d'un philosophe et d'un homme qui est à la tête des autres de peser le bien et le mal, d'estimer dans Louis 14 ce qu'il avait de grand, et de montrer ce qu'il avait de faible, d'aprouver la réforme, et de faire voir les défauts des réformateurs? Mais un anglais veut qu'on soit toujours partial, ou tout wig ou tout tory, et la raison, qui est impartiale, ne L'accomode pas. J'ay bien envie de m'escrimer contre cet impertinent, et de me moquer de luy, il le mérite, mais il n'en vaut pas la peine.

Votre majesté arrange àprésent des bataillons en attendant qu'elle arrange des strophes et des périodes. Ses odes l'attendent à Potsdam à moins qu'elle ne veuille m'en envoyer quelqu'une de Silésie.

Chaque chose à la fin dans sa place est remise
Isac après mille détours
Vient de fixer ses pas, son caprice et ses jours
Auprès de Sans Soucy dans sa terre promise.
Moy je vais fixer mon destin
Dans la chambre où Jordan de savante mémoire
Commentait à la fois saint Paul et l'Aretin
Sans savoir des deux à qui croire.
Unir les opposez, est un secret bien doux.
Il tient l'âme en haleine, il exerce le sage,
Je connais un héros dont l'âme a tous les goûts,
Tous les talents, tout l'art de les mettre en usage
Et je ne sais encor s'il est connu de vous.

Je me mets aux pieds de votre majesté.

V.