1749-05-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
J'auray l'honneur d'être purgé
De la main royale et chérie
Qu'on vit, bravant le préjugé,
Saigner l'Autriche et la Hongrie.
Grand prince je vous remercie
Des salutaires petits grains
Qu'avec des vers un peu malins
Me départ votre courtoisie.
L'inventeur de la poésie,
De Dieu que si bien vous servez,
Ce Dieu dont L'esprit vous domine
Fut aussi comme vous savez
L'inventeur de la médecine.
Mais vous avez aux champs de Mars
Fait connaître à toutte la terre
Que ce Dieu qui préside aux arts
Est maître dans l'art de la guerre.
C'est peu d'avoir par maint écrit,
Etendu votre renommée,
L'Autriche à ses dépends apprit
Ce que vaut un homme d'esprit
Qui conduit une bonne armée.
Il prévoit d'un œil pénétrant,
Il combine avec prudhomie,
Avec ardeur il entreprend.
Jamais sot ne fut conquérant,
Et pour vaincre il faut du génie.

Je crois actuellement votre majesté à Neiss ou à Glogau faisant quelque bonne épigramme contre les Russes. Je vous supplie sire d'en faire aussi contre le mois de may qui mérite si peu le nom de printemps, et pendant le quel nous avons froid comme dans l'hiver. Il me paraît que ce mois de may est l'emblème des réputations mal aquises. Si les pillules dont votre majesté a honoré ma caducité peuvent me rendre quelque vigueur, je n'iray pas chercher les chambrières de M. de Valori. L'espèce féminine ne me feroit pas faire une demi Lieue, j'en ferais mille pour vous faire encor ma cour. Mais je vous prie de m'acorder une grâce qui vous coûtera peu; c'est de vouloir bien conquérir quelque province vers le midy, comme Naples, Sicile, ou le royaume de Grenade et l'Andalousie. Il y a plaisir à vivre dans ces pays là, où l'on a toujours chaud. Votre majesté ne manquera pas de les visiter tous les ans comme elle va au grand Glogau et j'y serai un courtisan très assidu. Je vous parleray de vers et de prose sous des berceaux de grenadiers et d'orangers; et vous ranimerez ma verve glacée; je jetteray des fleurs sur les tombeaux de Keizeling, et du successeur de la Crose que votre majesté avoit si heureusement arraché à l'église pour l'attacher à votre personne, et je voudrois comme eux, mourir mais fort tard, à votre service, car en vérité sire il est bien triste de vivre si longtemps loin de Federic le grand.

V.