1743-09-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Amelot de Chaillou.

Le roy m'a dit que par les mémoires du mal de Noailles il voyoit clairement que la France frappoit à touttes les portes pour demander la paix, et qu'il ne répondroit pas qu'on n'eût point fait des propositions vagues contre ses intérêts, quand ce ne seroit que pr présenter un appas aux autrichiens, mais qu'il n'en étoit pas fâché, et qu'il pensoit bien que la France seroit plutôt son amie que celle de l'Autriche.

Je pris occasion de là de luy dire avec les plaisanteries et la familiarité qu'il permet, que je le soupçonnois d'avoir fait au mois de may la même petite friponerie dont il nous accusoit et que je ne le soupçonnois point d'avoir proposé sérieusement de s'unir avec la Hongrie contre la France. Il prit la chose très sérieusement, et il me jura deux fois qu'il n'en étoit rien, que c'étoit un mensonge de Burmania et du party anglais, que ce n'étoit pas le vingtième tour de la sorte qu'ils luy eussent joué.

‘Qui m'en empêchoit!’ continua t'il, ‘En aurai-je plus à craindre le ressentiment de la maison d'Autriche quand après l'avoir dépouillée de la Silésie, j'auray aidé ensuitte à luy faire avoir ailleurs un dédommagement? Elle n'en deviendroit guères plus puissante, et je serois affermi contre elle par de nouvelles conditions. Il n'y en a guère qu'on ne m'ait offertes, et si j'avois voulu prêter seulement dix mille hommes, on m'ofrait de recevoir la loy de moy dans la pacification de l'empire. Mais ce ne sont pas là mes desseins. Je ne prétends pas être l'instrument des anglais, et ce n'est pas à moy à contribuer à l'élévation de la maison d'Autriche’.

Il faut songer à unir l'empire, et à rétablir l'empereur. Il ne croit pas ce projet impraticable. Mais il veut une année, et il dit que si vous gardez seulement vos frontières, cette année suffira. Il est très content que vous ayez envoyé des subsides à l'empereur mais il a ajouté en riant qu'il eût souhaitté que vous les eussiez envoyés à ses trouppes et que l'empereur est un prince faible, capable de donner une partie de cet argent à ses maîtresses.

Sa grande envie seroit de séculariser plusieurs biens ecclésiastiques. Je crains que cette envie trop connue ne révolte contre luy Wurtsbourg, directeur du cercle de Franconie.