[c. 5 September 1743]
Votre majesté aurait elle assez de bonté pour mettre en marge ses réflexions et ses ordres?
1. Votre majesté saura que le sr Bassecour, 1erbourgmestre d'Amsterdam, est venu prier Mr Delaville, ministre de France, de faire des propositions de paix. Laville a répondu que si les hollandais avaient des offres à faire, le roi son maître pourrait les écouter.
Ce Bassecour est apparemment celui qui a soin d'engraisser les chapons et les codindes pour leurs hautes puissances?
N'est il pas clair que le parti pacifique l'emportera infailliblement en Hollande puisque Bassecour, l'un des plus déterminés à la guerre, commence à parler de paix? N'est il pas clair que la France montre de la vigueur et de la sagesse?
J'admire la sagesse de la France, mais dieu me préserve à jamais de l'imiter.
2. Dans ces circonstances si votre majesté parlait en maître, si elle donnait l'exemple aux princes de l'empire d'assembler une armée de neutralité, n'arracherait elle pas le sceptre de l'Europe des mains des Anglais qui vous bravent, et qui parlent hautement de vous d'une manière révoltante, aussi bien que le parti des Benting, des Fagel, des Obdam? Je les ai entendus, et je ne vous dis rien que de très véritable.
Ceci serait plus beau dans une ode que dans la réalité. Je me soucie fort peu de ce que les hollandais et anglais disent, d'autant plus que je n'entends point leur patois.
3. Ne vous couvrez vous pas d'une gloire immortelle, en vous déclarant efficacement le protecteur de l'empire, et n'est il pas de votre plus pressant intérêt d'empêcher que les Anglais ne fassent votre ennemi le grand duc, roi des Romains?
La France a plus d'intérêt que la Prusse de l'empêcher et en cela, cher Voltaire, vous êtes mal informé: car on ne peut faire une élection de roi des Romains, sans le consentement unanime de l'empire; ainsi vous sentez bien que cela dépend toujours de moi.
4. Quiconque a parlé seulement un quart d'heure au duc d'Aremberg, au comte de Harrac, au lord Stairs, à tous les partisans d'Autriche, leur a entendu dire qu'ils brûlent d'ouvrir la campagne en Silésie. Avez vous en ce cas, sire, un autre allié que la France? et quelque puissant que vous soyez, un allié vous est il inutile? Vous connaissez les ressources de la maison d'Autriche, et combien de princes sont unis à elle. Mais résisteraient ils à votre puissance jointe à celle de la maison de Bourbon?
5. Si vous faites seulement marcher des troupes à Clèves, n'inspirez vous pas la terreur et le respect sans crainte que l'on ose vous faire la guerre? N'est ce pas au contraire le seul moyen de forcer les hollandais à concourir, sous vos ordres, à la pacification de l'empire, et au rétablissement de l'empereur qui vous devra deux fois son trône, et qui aidera à la splendeur du vôtre?
6. Quelque parti que votre majesté prenne, daignera-t-elle se confier à moi, comme à son serviteur, comme à celui qui désire de passer ses jours à votre cour? Voudra-t-elle que j'aie l'honneur de l'accompagner à Bareith? et si elle a cette bonté, veut elle bien me le déclarer, afin que j'aie le temps de me préparer pour ce voyage? Pour peu qu'elle daigne m'écrire quelque chose de favorable dans la lettre projetée, cela suffira pour me procurer le bonheur où j'aspire, depuis six ans, de vivre auprès d'elle.
Si vous voulez venir à Bareith je serai bien aise de vous y voir, pourvu que le voyage ne dérange pas votre santé; il dépendra donc de vous, de prendre quelles mesures vous trouverez à propos.
7. Si pendant le court séjour que je dois faire cet automne auprès de votre majesté, elle pouvait me rendre porteur de quelque nouvelle agréable à ma cour, je la supplierais de m'honorer d'une telle commission.
Je ne suis dans aucune liaison avec la France; je n'ai rien à craindre ni à espérer d'elle. Si vous voulez je ferai un panégyrique de Louis quinze, où il n'y aura pas un mot de vrai; mais quant aux affaires politiques, il n'en est aucune à présent qui nous lie ensemble; et d'autant plus, ce n'est point à moi, à parler le premier. Si l'on me demande quelque chose, il est temps d'y répondre; mis vous, qui êtes si raisonnable, sentez bien le ridicule dont je me chargerais si je donnais des projets politiques à la France sans à propos, et de plus écrits de ma propre main. Je vous aime, je vous estime, je ferai tout pour vous avoir, hormis des folies, et des choses qui me donneraient à jamais un ridicule dans l'Europe, et seraient, dans le fond, contraires à mes intérêts et à ma gloire.
La seule commission, que je puisse vous donner pour la France, c'est de leur conseiller de se conduire plus sagement qu'ils n'ont fait jusqu'à présent.
Cette monarchie est un corps très fort, sans âme et sans nerfs.
8. Faites tout ce qu'il vous plaira; j'aimerai toujours votre majesté de tout mon cœur.