1744-04-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Amelot de Chaillou.

J'eus l'honneur monseigneur, en partant de Paris de vous envoyer la seconde édition des Eléments de Neuton, livre plein de problèmes moins intéressants et moins difficiles que ceux que vous avez à résoudre.
Ce livre que vous n'aurez pas le temps de lire, étoit accompagné d'une lettre que je désirois fort que vous lussiez et dont je vous supliois de faire usage. J'aprends qu'on vous a rendu la lettre et que vous n'avez pas reçu le livre. Permettez que je vous l'envoye, comme un hommage que je rends au sage plus qu'au ministre.

Mon correspondant m'écrit de temps en temps, et continuera pendant la campagne. Le hazard peut faire qu'il donne quelques avis importans. Je lui ay retranché les inutiles dépêches de l'orateur hollandois qui dit rarement ce qu'il faut dire, et qui vous fait toujours dire ce que vous n'avez pas dit.

Le correspondant m'assure que les états de Hollande et de Vestfrize sont dans la ferme résolution de vous envoyer un homme de confiance pour parvenir au grand but de la paix. Je souhaitte que mon amy Vanharen, et les Benting et les Fagel ne s'opposent pas à cette généreuse résolution dont vous êtes sans doute instruit. Le pensionaire d'Amsterdam a avoué il y a quinze jours que sa province doit 316 millions de florins, qui font plus de six cent trente deux millions de nos livres. C'est sur quoy vous pouvez compter monseigneur, et c'est ce qui rend très vraisemblable, l'inclination à la paix malgré l'influence extrême du party anglais. Tâchez que je puisse mettre un peu d'oliviers pour vous dans les divertissements que je fais pour le mariage de M. le dauphin.

Ce seroit bien là le plus bau de la fête.

Je vous supplie en attendant de daigner vous souvenir de la bonté que vous deviez avoir de parler au roy des petits services que j'ay rendus ou voulu rendre: je puis assurer sans vanité que j'ay été assez heureux pour rendre sa personne plus respectable au roy de Prusse, et j'en ay les preuves par écrit. Je demande seulement que vous daigniez l'instruire de mon zèle. Je demande qu'il sache que ce zèle me fait renoncer à douze mille francs de pension et à une maison toutte meublée que le roy de Prusse me donne à Berlin. Le seul prix de ce sacrifice, est que sa majesté en soit informée. Je ne veux point d'autre récompense. Mais je vous suplie monseigneur de me donner celle là, et de vouloir bien me renvoyer la lettre du roy de Prusse qui étoit dans le paquet que j'eus l'honneur de vous adresser en partant de Paris, et qui vous a été rendu trop tard.

Je suis avec le plus tendre respect et l'attachement inviolable, votre très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire