1744-01-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Amelot de Chaillou.

Je sens bien monseigneur que je ne vous mande presque jamais que ce que vous savez déjà, cependtje hazarde toujours mes inutilitez.

Voicy la copie d'une lettre de mr Vanhoy, avec deux mémoires importans qui doivent déjà vous être parvenus par d'autres voyes.

Peutêtre jugerez vous par les dernières lignes du mémoire de l'envoyé de P.. qu'on pouroit profiter de cette disposition des esprits.

Il y a longtemps que je songe à vous gagner entièrement ce ministre, qui fait déjà bien des démarches hazardeuses pour vos intérêts.

Je pourois y réussir par le moyen d'une dame hollandaise; et si le roi le veut, je tenteray l'entreprise.

Le mémoire de ce ministre, doit être suivy, et l'est déjà peutêtre, d'un autre non moins fort sur un autre sujet. Si le roy juge que L'occasion soit favorable, vous connaissez mon zèle, j'irois à Bruxelles sous le prétexte du procez de me du Chastelet, et de là je me ferois prier par tous mes amis de la Haye d'y aller faire un tour, ce qui rendroit mon voiage très simple. Mais je vous suplie monseigneur, en cas que je puisse hazarder la tentative de rendre ce ministre votre pensionaire, de n'en parler au roy que de vous même. Il ne m'apartient pas de rien proposer. Ce seroit peutêtre un moyen de pousser le roy de Prusse à tomber sur les hollandois et à les traitter comme il a traitté l'évêque de Liege. Vous savez combien il est capable de résolutions soudaines, surtout quand il croît n'être mené par personne.

J'avois eu l'honneur de vous mander de la Haye que je tenois de mylord Stairs même, qu'environ deux cent personnes s'étoient liées par serment pour s'opposer aux vues de la cour de Londres. Il ne me trompoit pas. Vous savez qu'ils ont encor renouvellé ce serment, et en dernier lieu, ils ont écrit aux lords Carteret, Newcastle et Pelham qu'ils les massacreroient s'ils continuoient à vouloir soudoyer les trouppes de Hanovre. C'est bien dommage de n'avoir dans ces circomstances qu'un prétendant qui est à Rome.

Vous n'ignorez pas que le conseil d'état de Hollande a remontré aux états que c'est à la reine de Hongrie à fournir les magazins et les munitions pour les places où les trouppes hollandaises sont en quartier. C'est un objet considérable. Puisse t'il être un sujet de mésintelligence!

Recevez monseigneur avec votre bonté ordinaire les assurances de mon respectueux et tendre dévouement.

V.