La Haye ce 16 aoust au soir, 1743
Monseigneur,
J'ay reçu les ordres et les sages instructions dont vous m'honorez en datte du 11 du mois.
Permettez qu'avant d'y répondre, j'aye l'honneur de vous parler de quelques affaires présentes.
L'ordre vient d'arriver à la régence de la Gueldre prussienne de ne pas laisser passer ces effets des hollandois. M. de Podewils prépare exprès un mémoire très long et de la discussion la plus ample, qu'il ne présentera que lundy 20 du mois. Il se passera bien du temps avant qu'on y ait répondu, et que cette affaire soit arrangée. Cet événement du moins fera voir que le roy de Prusse, loin d'entrer dans les mesures des anglais et des hollandais, est capable de les braver.
Le moment seroit bien favorable pour agir auprès de sa majesté prussienne, mais j'aprends par cet ordinaire, de Berlin, que ce prince n'ira point à Spa. On ne me mande pas cette nouvelle comme absolument certaine. Dans le doute je me tiens prest à partir; et si le roy de Prusse, contre toutte attente, étoit encor en Silésie, j'irois luy faire ma cour à Breslaw.
Le premier usage que j'ay fait de vos instructions a été de dire en confidence à L'envoyé de Prusse que je savois à n'en pouvoir douter, que la Reine de Hongrie avoit déclaré depuis peu aux anglais qu'elle regar deroit toujours le roy de Prusse comme son plus cruel ennemy. Je l'ay engagé à le mander incontinent au roy son maître, sans me nommer, et à joindre à ce réçit tout ce qui peut porter ce monarque à regarder la France comme sa seule amie, et son unique soutien. Il a pris l'occasion du départ de Monsieur le marquis de Fenelon pour faire valoir adroitement la vigueur du ministère français, les ressources de l'état, le courage de la nation. Je suis même convenu avec luy des termes, qu'il falloit ménager pour ne pas paraître rétracter maladroitement, tout ce qu'il avoit mandé auparavant sur la foy de tant de ministres étrangers.
Il m'a assuré encor que le premier dessein du Roy son maître avoit été d'assembler à Magdebourg une armée de neutralité, mais qu'il en avoit été détourné par nos disgrâces arrivées coup sur coup en Baviere, par l'inactivité des princes de l'empire, et aussi par la politique circomspecte et même timide de M. de Podewils, son secrétaire d'état, qui a quelquefois d'autant plus d'influence sur l'esprit de son maître qu'il ne veut jamais en avoir.
Il est triste que ce jeune homme plein d'esprit, qui plaît baucoup au roy son maître, et au ministre son oncle ne voye point le roy de Prusse à Spa, comme je l'espérois. J'ose vous assurer monseigneur qu'il n'y a personne à présent qui ait le cœur plus français et qui pût mieux vous seconder dans vos vues.
Cependant je suis très loin de perdre l'espérance, je voy même que de jour en jour le Roy de Prusse se met dans la nécessité de n'avoir d'autre allié que sa majesté.
J'aprends par les lettres du ministre hollandois à Petersbourg, que ce prince refuse toujours sous différents prétextes d'accéder au traité deffensif de la Russie et de l'Angleterre. Permettez moy monseigneur de vous rappeler à cette occasion ce que vous avez bien voulu me dire dans votre dépêche du onze touchant la cour de Russie. On vous la peint comme peu liée avec l'Angleterre et la Hongrie. Cependant vous verrez par la copie cy jointe du Résident Swart que le ministère russe paroît entièrement autrichien.
Voylà Monseigneur tout ce qui est venu à ma connaissance. Les démarches récentes du R. de P. auprès des états généraux pour la paix de l'empire, la hardiesse qu'il a de les mécontenter et de les braver, sa froideur avec les anglais, ses lenteurs avec les russes, et plus que tout, son intérest visible, font espérer qu'on poura le déterminer à quelque résolution éclatante et digne d'un grand roy. Je vous rendray un compte fidèle de tout ce que j'auray aperçu à sa cour, dans la quelle j'ay des amis. J'auray des lettres de recommandation de M. Trevor pour ce mylord Hindfort qui nous a fait tant de mal. Je tâcheray même de me lier avec luy, et de tourner à votre avantage l'heureuse obscurité à l'abry de la quelle je peux être admis partout avec familiarité.
Comme il a été nécessaire que j'eusse l'honneur quelquefois de vous écrire de la Haye en chifres et que je consultasse Monsieur le marquis de Fenelon et mr de la Ville, il poura arriver que je me trouve à Berlin dans une pareille obligation. Mais en ce cas je ne m'ouvriray à Monsieur de Valory qu'avec toute la réserve convenable aux intérêts présents. Je suis bien loin d'oser me promettre un succez qu'on doive à mes soins, je ne réponds que du zèle le plus ardent. La manière dont sa majesté prussienne me parlera, réglera mes paroles, je prendray conseil de l'occasion et de l'envie extrême que j'ay de mériter l'aprobation d'un esprit tel que le vôtre, et la protection d'un ministre tel que vous.
A L'égard de M. Vanharen, il faut le regarder comme un homme incorruptible; mais il peut aimer la gloire et les ambassades. Il vouloit aller en Turquie. C'est de là que j'ay pris occasion de luy représenter qu'il trouveroit plus d'amis et d'aprobateurs à Paris qu'à Constantinople. C'est moy seul qui luy ay donné cette idée, pour essayer si avec le temps on pouroit adoucir la haine qu'il semble porter à notre gouvernement. J'aurois pu dissiper ses préjugez et ramener quelques esprits à la faveur de L'amitié qu'il me témoigne, et on auroit pu faire usage de cette idée d'ambassade en cas que les yeux des hollandois commençassent à s'ouvrir sur la ridicule injustice d'attaquer la France sous prétexte d'un secours qu'ils ont refusé à la reine de Hongrie lorsque ce secours étoit nécessaire, et qu'ils luy donnent quand elle n'en a plus besoin, en ce seul cas, mr Vanharen pouvant alors avec honneur employer à la conciliation des esprits les talents qu'il n'a consacrez qu'à la discorde. L'espérance d'être nommé, par la faveur même de la France, à une ambassade (dont il semble exclus par l'usage, étant né frizon) pouroit flatter infiniment son amour propre, et le déterminer à servir le party de la justice, de la raison, et de la paix. Mais ce ne peut être que l'ouvrage du temps, et même d'une liaison intime et secrette avec luy.
Je ne vous parle point des dernières lettres de Mr Vanhoy, elles donnent un peu de prise aux mal intentionez, et peutêtre vous eût il mieux servi s'il avoit montré un zèle aussi mesuré qu'il est estimable.
Je suis avec baucoup de respect et d'attachement,
Monseigneur,
votre très humble et très obéissant serviteur
V . . . .