1743-12-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Amelot de Chaillou.

Monseigneur,

J'ay l'honneur de vous envoyer ces deux lettres cy jointes, toutes deux très récentes, l'une de l'ambassadeur de Hollande en cette cour, l'autre du résident de Hollande à Berlin.

On me mande d'ailleurs que le voiage de M. de Benting n'est plus un mistère. On sait qu'il est allé voir incognito le prince d'Orange, et que le greffier Fagel veut enfin le faire Stadhouder.

On m'assure que la crainte de voir la Flandres devenir le téâtre de la guerre retient encor beaucoup de régens; et que si vous tournez vos armes dans les Pays Bas, il est à croire qu'alors le cry public forcera le party pacifique à se joindre au party guerrier. C'est à vous monseigneur à concilier avec ces idées dont je rends simplement compte, les impressions que peuvent donner d'autres personnes mieux informées.

Je vous diray avec la même simplicité qu'on croit le prince Guillaume de Hesse très peu attaché à la France, et que les hessois pouroient vous coûter baucoup et servir peu. On ajoute que le prince Guillaume de Hesse est cassé, et que l'empereur a besoin d'un général dont la tête et le corps aient baucoup de vigueur.

Vous savez monseigneur ce qui s'est passé entre Mgr le margrave de Bareith et moy dans le plus grand secret. Il est général du cercle de Franconie, il a des trouppes, des amis, du zèle, de la bonne volonté pour l'empereur. Voicy le moment où il pouroit engager le roy de Prusse, son bau frère, et le mener plus loin que ce monarque ne voudroit d'abord peutêtre.

Je croy que ce party pouroit être assez promt, très utile, et moins coûteux que tout ce que le roy de Prusse vous propose pour vous ruiner et en profiter.

Si sa majesté trouve dans ces ouvertures quelques apparences d'un avantage réel, j'auray l'honneur de venir recevoir vos ordres. Les liaisons secrettes que je me suis ménagées, me mettroient peutêtre en état de témoigner mon zèle pour le service de sa majesté.

Je suis avec respect et reconnaissance,

Monseigneur,

votre très humble et très obéissant serviteur

V.