à Paris ce 2 novembre 1744
Du héros de la Germanie
Et du plus bel esprit des rois
Je n'ay reçu depuis trois mois
Ny baux vers, ny prose polie:
Ma muse en est en létargie.
Je me réveille aux fiers accents
De L'Allemagne ranimée,
Aux fanfares de votre armée,
A vos tonneres menaçants
Qui se mêlent aux cris perçants
Des cent voix de la renommée.
Je vois de Berlin à Paris
Cette déesse vagabonde
De Federic et de Louis
Porter les noms au bout du monde,
Ces noms par la gloire tracez
Dans un Cartouche de lumière,
Ces noms qui répondent assez
Du bonheur de L'Europe entière
S'ils sont toujours entrelassez.
Quels seront les heureux poètes,
Les chantres boursouflez des rois,
Qui pouront élever leur voix
Et parler de ce que vous faites?
C'est à vous seul de vous chanter,
Vous que souvent j'ay vu porter
La lire, et la lance d'Achille,
Vous qui rapide en votre stile
Comme dans vos exploits divers,
Faites de la prose et des vers
Comme vous prenez une ville.
D'Horace heureux imitateur,
Sa guaité, son esprit, sa grâce,
Ornent votre stile enchanteur.
Mais votre muse le surpasse
Dans un point cher à notre cœur:
L'empereur protégeoit Horace
Et vous protégez L'empereur.
Fils de Mars et de Calliope
Et digne de ces deux grands noms,
Faites le destin de L'Europe
Et daignez faire des chansons.
Quand la triomphante Bellone
Par votre main rafermira
Des Cesars le funeste trône,
Quand le hongrois cultivera
Du Tokai la vigne féconde,
Et que dans une paix profonde
Partout ce bon vin se boira,
Lors qu'en Buvant on chantera
Le pacificateur du monde,
Mon prince à Berlin reviendra,
Mon prince à son peuple qui L'aime,
Libéralement donnera
Un nouvel et bel opéra
Qu'il aura composé luy même.
Chaque auteur vous aplaudira,
Car tout envieux que nous sommes
Et du mérite et d'un grand nom,
Un poète est toujours fort bon
A la tête de cent mille hommes.
Mais croyez moy, d'un tel secours
Vous n'avez pas besoin pour plaire.
Fussiez vous pauvre comme Homere
Comme luy vous vivrez toujours.
Pardon si ma plume légère,
Que souvent la vôtre enhardit,
Ecrit toujours au bel esprit
Baucoup plus qu'au Roy qu'on révère.
Le Nord à vos sanglants progrès
Vit des rois le plus formidable,
Moy qui vous aprochay de près
Je n'y vis que le plus aimable.
Sire,
Je ne sçai si votre majesté est à Prague, à Vienne ou à Bude, mais comme je sçay que votre immensité embrasse tous les objets, j'ose la suplier, quand elle aura pris sept ou huit provinces, de daigner donner à Cleves votre protection à madame la marquise du Chastellet. Elle a vu que le destin de l'Europe étoit entre vos mains, et elle a mis le sien entre les mains de votre chancelier de Cleves m. de Raesfelt. Elle l'a rendu l'arbitre d'un procez de deux milions. Un petit mot de votre majesté à votre chancelier, sire, seroit un beau préliminaire de cette paix. Vous êtes né pour faire un peu de mal aux pandours, et du bien au reste de la terre. Madame du Chastelet attend cette grâce de votre majesté, dont elle baise la médaille.
Quand il y aura des termes pour exprimer mon respect, mon tendre attachement, mon admiration, Voltaire les employera aux pieds de votre majesté.