1775-01-05, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Tout ce qui regarde Le procès du D'Etallonde a été envoyé à Paris: je doute cependant que votre parlement intégré veuille obtempérer pour justifier L'innocence.
L'opiniâtreté d'une grande compagnie et cent formalités inutiles feront que D'Etallonde continuera d'être opprimé; et s'il étoit en France, je ne jurerois pas qu'on ne Le fît encore brûler à petit feu. Si Louis XV a eu du foible pour Le clergé, cela paroît tout simple: il a été élevé par des prêtres dans La Superstition La plus stupide, et environné toute sa vie de personnes ou dévotes ou trop bons courtisans pour choquer ses préjugés. Combien de fois ne lui a-t-on pas dit: Sire, Dieu vous a placé sur Le trône pour protéger L'Eglise; Le glaive qu'il vous a donné en main, est pour La défendre: vous ne portez Le nom de très-chrétien, que pour être Le fléau de L'hérésie et de L'incrédulité: L'Eglise est Le vrai soutien du trône; ses prêtres sont Les organes divins qui prêchent La soumission aux peuples; ils tiennent Les consciences en Leurs mains; vous êtes plus maître de vos sujets par Leur voix que par vos armées. Qu'on répète souvent de tels discours à un homme qui vit dans la [di]ssipation, et qui n'emploie pas un moment de sa [vie] pour réfléchir; il les croira, et agira en [con]séquence. C'étoit le cas de Louis XV; je Le plains sans Le condamner. Le pauvre Tallonde en souffre, Et je prévois que je serai son seul refuge.

On a fait à La manufacture de porcelaine votre buste; je sais qu'il mériteroit d'être d'une matière moins périssable; vous voyez cependant par L'empressement qu'on a de posséder votre ressemblance, combien votre réputation s'accroît. Voici un de ces bustes qui vous ressembloient autrefois, et peut-être encore. Je vous Le répète encore, vivez, conservez vos vieux jours, Et si La vie vous est indifférente, songez au moins que votre existence ne L'est point au philosophe de Sans-Souci. Vale.

Federic

Votre buste suivra par la Poste.