1778-05-26, de Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet à Anne Robert Jacques Turgot.

Le mandement a manqué son coup, le grand homme est sauvé, et il n'y aura qu'un prêtre de mort.
Le curé de Saint-Sulpice est arrivé hier tout courant, pour tâcher d'avoir un corps ou une âme. On lui a dit que le corps n'était pas dans le cas d'être enterré, et que, pour l'âme, depuis qu'elle avait pris de l'opium, on ne savait ce qu'elle était devenue. Elle revient peu à peu. L'affaissement est moindre, la fièvre est calmée, et m. Tronchin répond presque du malade, s'il ne se tue pas.

On a fait une plaisanterie qui me paraît assez bonne; on a mis au bas d'un de ses portraits ces quatre vers:

Aux cris religieux d'un parterre idolâtre,
En face de lui même, au milieu du théâtre,
Paris, à ce grand homme érigeant un autel,
A couronné son front d'un laurier immortel.

Ce sont, à quelques mots près les vers de sa satire.

On prétend que m. d'Orvilliers n'a pas eu d'attaque d'apoplexie, mais qu'il a pris aussi trop d'opium, et qu'ainsi on peut bien lui confier le commandement de la flotte. M. de Voltaire va mettre cet accident à la mode.

J'espère vous voir dimanche au plus tard. Dites, je vous prie, à madame la duchesse d'Enville que Moultou s'est enfin déterminé à me venir voir, quoi qu'on puisse en juger au contrôle. C'est une belle action pour un Genevois, et dont je me trouve bien indigne d'être l'objet.