1776-07-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Le jour de vôtre réception, mon très cher ami, a été un vrai jour de triomphe, car il était précédé de batailles et de victoires.
Ceux qui mettent dans la même balance la vie indolente et prèsque obscure avec la vie active et glorieuse, ne songent pas qu'il ne faut point comparer Atticus avec César. Il me semble que je me serais borné à célébrer vos succès sans vous donner tant de conseils sur la manière d'en jouïr. Mais après tout, ce n'est qu'une nouvelle mode d'ajuster des lauriers sur la tête d'un triomphateur. Vôtre gloire est entière, mon plaisir aussi; ma reconnaissance aussi. Que ne dois-je point à vôtre amitié courageuse, qui partage publiquement avec moi les fleurons de sa couronne, et qui me fait asseoir sur son char à la face de nos ennemis? C'est là ce qui est noble, c'est ce qui est véritablement généreux; c'est ce qui déploie toute la fermeté d'un cœur inébranlable.

Je crois qu'en abrégeant beaucoup la Pharsale, vous en tirerez un très bon parti. Vous vous souvenez de la devise qu'on avait faitte pour Philippe trois, Plus on lui ôte, plus il est grand.

On m'a dit que vous aviez encor embelli Menzicof et les Barmecides. Abondance de bien ne peut nuire. Une partie de vos succès vient de la Russie. Je n'aurais pas deviné autrefois que du fond de la mer Baltique on enverrait un jour de belles m[édailles] à mon ami, et des flottes, qui brûleraient la fl[otte] ottomane à la vue de Smirne.

Je vous embrasse plus tendrement que jamais, mon cher confrère. Made Denis me charge de vous dire combien elle s'intéresse à vous.

V.