12 février 1776
Prenez toujours vôtre place à l'académie, mon cher ami, en attendant qu'on joue Menzicof et les Barmecides.
N'allez pas manquer cette place. Nôtre tripot, à ce qu'il me semble, s'est fait une espèce de loi de remplacer de simples Ducs et pairs de la cour par des Ducs et pairs de la littérature. Nous avons besoin de vous; il faut absolument que cette fois cy vous remplissiez le quarantième fauteuil.
Auriez vous entendu parler d'un Mr De Lille de Sales, auteur d'un livre intitulé, La philosophie de la nature, en trois petits volumes? Est-il vrai qu'on s'est avisé de persécuter le livre et l'auteur? qu'on ait déchainé le châtelet contre lui, et qu'on l'ait décrété de prise de corps? Celà me paraît également horrible et absurde. J'ai bien peur qu'en voulant réformer les finances et le ministère, on n'ait prétendu aussi réformer la philosophie. Elle n'est pourtant pas onéreuse à l'état. Mandez moi, je vous en conjure tout ce que vous aurez pu aprendre de l'avanture dont je vous parle. Ce Mr De Lille de Sales apartient à des personnes qui me sont chères. Ne regardez ma prière comme une simple curiosité de provincial qui veut savoir des nouvelles de Paris.
Savez vous que nous sommes libres à présent à Ferney, comme on l'est à Genêve? J'ai eu le bonheur d'obtenir de Monsieur Turgot qu'il nous délivrât de l'armée des aides et gabelles. Il est le bienfaicteur des peuples, et il doit avoir contre lui les talons rouges et les bonnets quarrés.
Adieu, mon cher ami, et bientôt mon cher confrère.