1767-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Votre vieux philosophe est bien fâché de n'avoir pu voir apparaître encor dans son hermitage le philosophe militaire de Dirac.
Comptez monsieur que je sens toutte ma perte. Je ne sçais si la nouvelle que vous m'avez apprise d'une émeute des calvinistes auprès de Sainte Foy a eu des suittes. On m'a mandé qu'on avait démoli un temple près de la Rochelle et qu'il y avait eu du monde tué, mais je me défie de tous ces bruits et je me flatte encore qu'il n'y a pas eu de sang répandu. Il ne faut croire le mal que quand on ne peut plus faire autrement. Notre petit pays est plus tranquile malgré la prétendue guerre de Geneve. Nous sommes entourez des trouppes les plus honnêtes et les plus paisibles. Il n'y a rien eu de tragique que sur le téâtre de Ferney où nous leur avons donné les Scites et Sémiramis. De grands soupers ont été tous nos exploits militaires.

Le ministère a daigné jetter les yeux sur notre pays de Gex. On y fait de très beaux chemins, on m'a même pris quatrevingt arpens de terre pour ces nouvelles routes mais je sçais sacrifier mon intérest particulier au bien public.

On a des copies très imparfaites de la petite plaisanterie de la guerre de Geneve. On a mis Tissot au lieu d'un médecin nommé Bonnet qui aimait un peu à boire. Le mal est médiocre. Aimez toujours un peu le vieux solitaire.

V.

J'aprends dans ce moment qu'il y a beaucoup de monde décrété à Bordeaux, que le curé n'est pas mort, et qu'on est fort déchainé contre les calvinistes.

V.