1766-06-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Le bon viéillard Siméon, Monsieur, dira son cantique d'actions de grâces quand il aura vu Germanicus, et s'il daigne en éffet honorer de sa présence les tracassiers génevois, je vous serai très obligé de vouloir bien m'avertir du jour de son départ.

J'ai fort connu ce pauvre Lally dont vous me parlez. J'ai eu même avec lui une correspondance très singulière. Je le connaissais pour un homme violent, chimérique, et un peu intéressé; mais je suis très sûr qu'il n'a ni trahi, ni pu trahir le roy. Il était d'un caractère à se faire détester de tous ceux qui avaient affaire à lui. Ce n'est pas une raison pour couper le cou d'un homme. Les factums pour et contre que j'ai lus attentivement ne contiennent que des injures, et pas la moindre preuve. L'arrêt ne dit rien que de vague; il aurait dû spécifier aumoins une concussion, et on ne se sert que du mot de véxation qui ne signifie rien. Mr D'Aché et lui ne se sont reprochés que de mauvaises opérations militaires, et il est bien étrange que la conduite militaire ait été jugée par des bonnets quarrés. La France d'ailleurs, est le seul païs de l'Europe où les arrêts ne sont point motivés, c'est insulter le genre humain que de faire mourir par la main d'un bourreau un général, sans lui dire précisément pourquoi on le fait mourir.

Vous voilà Français, Monsieur, j'espère qu'aiant retrouvé vos titres vous retrouverez aussi la fortune. Elle sera toujours au dessous de vôtre mérite.

Tout le petit hermitage vous fait les plus tendres compliments.

V.