1766-05-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Michel Paul Guy de Chabanon.

Je reçus hier, mon cher confrère, la nouvelle esquisse que vous voulez bien me confier.
Ma malheureuse santé ne m'a pas permis encor de la lire. Je ne pourai vous en rendre compte que dans trois ou quatre jours. J'ai pris, en attendant, la liberté de vous adresser un paquet que j'avais depuis longtemps pour Mr D'Amilaville. Vous me ferez un très grand plaisir de vouloir bien le lui faire rendre dès que vous serez arrivé à Paris.

Je viens de lire le sujet de la Tragédie du pauvre Lally; la catastrophe ne me parait annoncée dans aucun des actes. Je vois bien que ce Lally s'était fait détester de tous les officiers et de tous les habitans de Pondicheri, mais il n'y a dans tous ces mémoires ni apparence de concussion, ni apparence de trahison. Il faut qu'il y ait eu contre lui des preuves qui ne sont énoncées en aucune manière dans les factums. La pièce sera bientôt oubliée comme les gazettes de la semaine passée. Il n'en sera pas de même d'Eudoxie ou Eudocie. Vos talents et les soins que vous prenez m'en assurent. J'admire vôtre courage de faire deux plans en prose. Il faut être bien maître de son génie pour s'astreindre à un tel travail, et pour subjuguer ainsi le talent qui demande toujours à parler en vers. Vous me paraissez un bon général d'armée, vous faittes de sang froid vôtre plan de campagne, et vous vous battrez comme un diable. Je m'intéresse à vos Lauriers autant que vous même. Je vous embrasse du meilleur de mon coeur.