à Ferney 8e 7bre 1769
Mr,
La lettre dont vous m'honorez, et les instructions qui l'accompagnent m'inspirent autant de regrets que de reconnaissance.
Si j'avais été assez heureux pour recevoir plus tôt ces mémoires j'aurais eu la satisfaction de rendre à votre mérite et à vos belles actions la justice qui leur est dûe. Je ne suis instruit qu'après trois éditions, mais si je vis assez pour en voir une nouvelle je vous réponds bien du zèle avec lequel je profiterai des lumières que vous avez la bonté de me donner.
Je vois que vos connaissances égalent vôtre bravoure. Je n'ai pas osé compromettre vôtre illustre nom dans l'histoire des malheurs de Pondicheri et du général Lally. Je journal du blocus, du siège et de la prise de cette ville, insinue que c'est à vous, Mr, que Chanda-Saeb demanda si d'ordinaire en France on choisissait un fou pour grand visir. Je me suis bien donné de garde de vous citer en cette occasion. Il m'a paru que la tête avait tourné à ce commandant infortuné, mais qu'il ne méritait pas qu'on la lui coupât. Je suis si persuadé de l'extrême supériorité des lumières des juges, que je n'ai jamais compris leur arrêt qui a condamné un Lieutenant général des armées du Roi pour avoir trahi les intérêts de l'état et de la compagnie des Indes. Je crois qu'il est démontré qu'il n'y a jamais eu de trahison, et je trouve encor cette catastrophe fort extraordinaire.
Je suis persuadé, Monsieur, que si le ministère s'y était pris quelques mois plutôt pour préparer l'expédition du Brésil, vous auriez fait cette conquête en peu de tems; et la France vous aurait eu l'obligation de faire une paix plus avantageuse.
Tout ce que vous dites sur les colonies tant françaises qu'anglaises fait voir que vous êtes également propre à combattre et à gouverner.
La manière dont les Anglais en usèrent avec vous quand vous fûtes pris sur un vaisseau marchand éxigeait, ce me semble, que les ministres anglais vous fissent les réparations les plus autentiques et qu'ils vous prévinssent avec tous les égards et tous les empressements qu'ils vous devaient. C'est ainsi qu'ils en usèrent avec mr Uloa. Je veux croire pour leur excuse que ceux qui vous retinrent à Plimouth ne connaissaient pas encor vôtre personne.
Ma vieillesse et mes maladies ne me permettent pas l'espérance de pouvoir mettre dans leur jour les choses que vous avez daigné me confier, mais s'il se trouvait quelque occasion d'en faire usage, ne doutez pas de mon zèle.
En cas que vous m'honoriez de quelqu'un de vos ordres, je vous prie, Monsr, d'ajouter à vos bontés celle de me dire vôtre opinion sur l'arrêt porté contre mr De Lally, et sur la conduite qu'on tenait à Pondicheri. Soiez très persuadé que je vous garderai le secret.
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect
Mr,
Vôtre.