de Paris le 6 aoust 1770
En lisant avec attention monsieur ce que Vous avés inséré dans Votre Siècle de Loüis quinze, de relatif au général Lally, digne d'un meilleur sort j'ay observé que Vous luy avés trouvé des torts dont il seroit facile de le justifier, mais dont on ne peut sçavoir mauvais gré à un historien, lequel, ainsi que le public, ne connoit l'affaire qu'en gros.
D'ailleurs, ces torts supposés tels, ne sont rien moins que des crimes.
Vous luy reprochés, par Exemple, d'avoir attaqué sans ménagement dans ses mémoires les officiers les plus Considérables, Et qui avoient l'approbation générale, mais Vous ignorés que les mêmes officiers Civils Et militaires Contre lesquels il avoit cru devoir porter des plaintes graves, Et qui de leur Côté En avoient usé de même Contre luy, ont Etés ouis Comme témoins, que ce n'a Eté qu'après avoir Entendües leurs dépositions que le général s'est vu, sans doute forcé de se deffendre En articulant tout ce qu'il avoit à objecter de Capable de les atténüer, Et que les ménagements dont il auroit pû user, ne retranchant rien du fond de ce qui avoit Eté avancé Contre luy, devenoient inutiles, Et ne pouvoient que Luy Etre d'autant plus funestes, que ces témoignages Ennemis Etoient presque les seuls, pour n'avoir pas pris ceux de plusieurs personnes Considérables, très En Etat de parler, dont la pluspart Etoient à Paris, Et qui n'ont pas Ettés assignées, à l'exception de deux ou trois seulement, lesquels bien loin de rien avancer qui pût nuire au général, ont au Contraire Eclaircy à sa décharge des faits importants, sur lesquels on avoit Entrepris de répandre des nuages.
J'avoue monsieur que pour s'expliquer affirmativement sur cette grande affaire, il faudroit avoir Vü les informations Et le procès, mais sy En attendant La présomption Est pour la chose jugée, il doit Etre permis de trouver rigoureux qu'ayant Eté bien reconnu Et avoué que le général n'avoit, ny Concussions, ny haute trahison à se reprocher, il ait Eté néanmoins Condamné à perdre la tête sur des qualifications générales et vagues, sans qu'on aye jusqu'à présent articulé un délit particulier qui mérita une peine Capitale Contre un lieutenant général des armées du roy.
Quoiqu'il En soit monsieur, Vous Vous Estes Contenté de rendre à mr de Lally que Vous avés Connu, La justice qu'exigeoient des faits passés sous Vos yeux, Et portant L'impartialité aussy loin qu'il Etoit possible, disant du bien de Ceux mêmes qui luy ont fait perdre la Vie sur un infâme gibet, deffendant les juges de L'imputation odieuse de s'être opposés à Ce que le roy fit grâce, Vous avés fait observer que Vous ne prétendiés pas soutenir que le général fût innocent, mais seulement qu'il se Croyoit luy même tel, parcequ'il Est Vray que les Criminels Consternés par un jugement sévère Et mérité, semblent En reconnoitre La justice par leur morne silence, au lieu que mr de Lally criant à l'injustice, Et voulant dans un mouvement de fureur attenter à sa Vie, avoit par cet Excès donné la preuve non Equivoque qu'il ne se réputtoit Coupable de rien.
Cette modération dans les Expressions dont Vous Vous Estes servy, En respectant l'arrêt donnant des loüanges à Une partie de Deux qu'on peut regarder d'après Eux mesmes Comme opposés au général, Et laissant à Ceux qui le plaignent, sinon la satisfaction d'y voir une justification qu'ils Eussent désirée, du moins la Consolation de ne pas y trouver d'inculpations graves, sembloit devoir garantir Votre ouvrage de toute Espèce de réclamation.
Cependant monsieur une lettre qui Vous est adressée sous la datte du 20 avril 1770, dans laquelle on ne garde assurément aucun ménagement avec vous, vient d'être répandue dans le public, Et quoique ditte imprimée à Amsterdam L'a Eté probablement à Paris, où Elle se débitte chés Merigot le jeune.
Il est visible que plusieurs personnes qui toutes n'ont pas Ettés aux Indes, ont travaillé à la Composition, Et rédaction de Cette pièce. Elle a révolté bien du monde Et sur tout La nation irlandoise, Et decela En Effet un acharnement tel qu'il prouveroit plutôt pour que Contre le général qui y est outrageusement déchiré après sa mort. On En avoit à la Vérité usé à peu près de même pour la distribution des mémoires qui furent données Contre Luy, ils ne parurent que quelques jours avant la Condamnation annoncée, Et lorsqu'il n'avoit plus la liberté d'y répondre.
On affecte dans cette lettre de déclarer d'abord qu'on ne veut pas troubler les cendres d'un infortuné, Et bientôt après on se dément En rennouvelant des reproches de lâcheté, semés par ses Ennemis, mais sur lesquels ils n'ont pas Eu le courage d'insister dans le procès.
Heureusement pour la mémoire du général, il avoit fait les preuves à la Vüe des trouppes du roy depuis son Entrée au service, ses contemporains sont pleins de vie, ils diront qu'ils luy ont vu répandre son sang pour la deffense de la patrie, Et que son maitre sous les yeux duquel il combattoit, ainsi que Vous l'avés observé, Crut devoir le récompenser publiquement de la Conduite distinguée qu'il tint à Fontenoy, à la tête du régiment de son nom qui faisait partie de La brigade irlandoise.
Des infamies telles que Celles qu'on ose avancer, ne prouvent que la fureur Et La haine. Celui qui a présenté un front serein, une constance ferme, Et une Valeur agissante Contre la fameuse Colonne angloise, n'a Certainement pas Eté Effrayé d'une poignée de noirs, Et ne s'est pas retiré à Pondichery, pour Eviter comme on Essaye de la faire Entendre, de se trouver à la première bataille de Vandavachy, à laquelle les autres officiers généraux n'assistèrent pas plus que luy. On sçait, Et on auroit dû dire que des soins plus importans l'appelloient ailleurs, tels que de ranger à leur devoir les Employés mutinés, d'arrêter la désertion des trouppes, Et de se joindre à la nation pour obtenir que l'escadre ne quittât pas la Cotte, Comme l'établit incontestablement la protestation nationale.
N'est il pas inoüi qu'on accuse le général de n'avoir pas marché à Madras au lieu d'aller dans le Tanjaour, tandis qu'il n'en fut Empêché que par des obstacles qu'il n'éttoit pas le maitre de faire cesser, Et nottament les lettres du gouverneur de Pondichery Et d'un jésuite nommé Lavaur qui joüoit un grand rôle En ce pais là, lesquelles luy refusant toute ressource pour le siège de cette place, l'avertissoient nettement qu'il n'en avoit d'autre que celle d'aller dans le royaume de Tanjaour, où on luy promettoit des subsistances Et des secours qui luy manquèrent totalement, Et dont la privation le contraignit de renoncer à cette Expédition, de l'avis unanime des officiers qui composoient le conseil de guerre tenu à Cette occasion.
L'auteur de la lettre taxe Cependant de retraite honteuse celle qui fut Exécuté, Et fait au général le reproche puérile de s'être fait porter en palanquin, Voiture dit il consacré à la molesse, Et qui Est indigne d'un militaire, Comme si tout le monde ne sçavoit pas que c'est celle dont se servent générallement Dans l'Inde toutes les personnes un peu considérables.
Pour apprétier justement toutes les Calomnies débittés sur Cette Expédition, Il ne faut que lire le précis annexé à la délibération du Conseil du 18 aoust 1758; on y verra ce que pensoit le Comte Destaing du siège où il Etoit, ainsy que la retraite jusqu'à Trivalour où on cessa de Voir l'ennemy, on y verra que loin d'Etre abbattu par le mauvais succès, Et par des terreurs paniques qu'il n'épprouva jamais, le général s'occupoit d'un projet hardy Et décisif, que le Comte Destaing ne négligea rien pour le faire adopter, Et que voyant le peu de succes de sa négotiation, il n'hésita pas de dire, qu'il ne doutoit pas que quoiqu'il arriva, on ne se plut à Eterniser la mémoire d'offres faites pour le bien Commun, glorieuses pour mr de Lally, Et qui doivent le rendre cher à tous Ceux qui représenta la Compagnie. Ce sont là des faits, Et En avancer de diamétralement opposés, C'est oser démentir mr le Comte Destaing, Et tous Ceux qui, témoins oculaires peuvent rendre le même témoignage.
On attribue Encore la levée du siège de Madras à une terreur panique occasionnée dit on par l'arrivée de six vaisseaux anglois qui n'étoient chargés que de malades; toujours dans l'objet de rendre le général odieux, on ajoute qu'il abbandonna ses malades, mais il ne manque à tout cela que la vérité. 1. nous n'avions que 2700 Européens, les assiégés avoient au Contraire 5000 hommes, Compris 3000 Cypaÿes qui derrière un retranchement valent autant que des blancs. 2. Malgré Cette disproportion de force, monsieur de Lally vouloit donner l'assaut, lorsque les officiers de l'artillerie Et du génie luy déclarèrent par Ecrit qu'il Etoit inutile de Continüer des travaux qui feroit périr beaucoup de monde Et n'abboutiroient à rien. 3. Le général qui voulait passer outre En fut Empêché par l'arrivée imprévüe de six vaisseaux, non pas chargés des malades, mais de munitions, Et de 600 hommes du régiment de Drapet bien portants, En sorte que sy on Eût attaqué la place, on auroit opposé Et l'écrit signifié par le corps royal, Et le renfort qui augmentoit la disproportion qui existoit déjà à l'avantage de L'ennemy, Et que pour avoir defféré à Cet Ecrit Et cédé aux Circonstances qu'on passe Egalement sous silence, la levée du siège Est attribüée à une terreur panique, ce qui prouve assés qu'on voulait que mr de Lally Eût tort dans tous les Cas. 4. Il est faux que nos blessés ayent Etés abbandonés, il n'en resta qu'une trentaine hors d'état d'être transportés — auxquels on laissa un chirurgien, Et une sauve garde, tout le reste avoit Eté Embarqué à St Thomé pour Pondichery. 5. Nous ne perdimes aucuns bagages, Et ne laissâmes que Cinq pièces d'artillerie En Etat de servir faut de boeufs pour les trainer. 6. Enfin si on Eût sçeu profitter d'une occasion qui n'étoit pas dans la main du général, Et dont le chevalier de Crillon a rendu Compte dans sa Confrontation rapportée dans une notte qui termine la page 105 du mémoire imprimé de mr de Lally, Madras Eût Eté pris.
La segonde battaille de Vandavachy avoit Eté précédée d'une manoeuvre dont tout homme de guerre s'honnoreroit, Et lors de laquelle, le général s'Etoit fort Exposé Comme le sieur de Leyrit dans sa lettre du 18 janvier 1760 Convenoit que la renommée le publioit, l'auteur anonime prétend Cependant que de toutes les Expéditions de mr de Lally, C'est celle qui luy fit le moins d'honneur, il passe négative qu'il soit demeuré seul sur le champ de bataille, mais puisqu'il invoque à l'appuy de son assertion les officiers qui Etoient présens, on s'en raportera volontiers à Ceux qui n'ont pas déposés. Le témoignage des autres seroit d'autant moins admissible, qu'après avoir Eté accusés, Ils sont devenus accusateurs Et témoins, Et qu'il En Est Certains qui se sont permis de mettre En avant relativement à Cette segonde bataille de Vandavachy des faits à Eux personnels, que des témoins oculaires d'un Certain ordre ont cru devoir Contredire formellement.
Enfin monsieur on porte la rage jusqu'à déclarer le général indigne, Et incapable de Commander. Lorsqu'on Entreprendra d'établir Cette indignité autrement que par une vaine déclamation, le public jugera sy Elle Est fondée ou ne l'est pas, mais en attendant l'anonime devra rougir d'avoir ajouté à tant d'autres Cette injure attroce, proférée Contre un infortuné dont il avoit annoncé qu'il ne vouloit pas troubler la Cendre. Quant à la Capacité, la pluspart de ceux revenus de l'Inde ne doivent pas Etre regardés Comme Compétens pour en décider, il faut Entendre sur le point les officiers généraux sous les ordres desquels mr de Lally a servy, Et les officiers particuliers qui ont servy sous les siens en Europe, Et même plusieurs à la Cote de Coromandel. On ne Craint pas de dire qu'il n'en résultera qu'un Cry pour assurer qu'il Etoit capable d'exécuter les Entreprises les plus difficiles, Et qu'on le choisissoit de préférence pour les occasions délicates. L'expédition de l'Inde Etoit de Cette classe, il n'a pas demandé à y aller, Et pour son très grand malheur n'eut pas la force de résister aux pressantes sollicitations qui Luy furent faites de partir par les personnes les plus Considérables.
Après Vous avoir fait voir, monsieur, l'extrême partialité qui règne d'un bout à l'autre dans la lettre en question je ne sçaurois me dispenser de faire quelques observations succintes sur les reproches qu'elle Entreprend de Vous faire. Vous avés dit que le général fut trompé dans les Espérances En arrivant dans L'Inde, 1. Point d'argent dans les caisses, 2. peu de munitions de toute Espèce, 3. des noirs Et Cipayes pour armée, 4. nulle subordination; à En Croire l'anonime rien de plus faux que tout cela. Il faut Examiner les preuves qu'il prétend En donner, Et y répondre. Cela sera d'autant plus facile qu'il ne parle que d'après luy même, Et qu'on n'est rien moins qu'obligé de l'en Croire sur sa parole.
1. Il Commence par avoüer qu'il ignore à quoy pouvoient se monter les sommes qui Etoient dans les Caisses de la Compagnie. Il auroit deu dire qu'elles Etoient vuides à l'arrivée du Comte de Lally, parceque le fait Est Exactement vray. Il ajoute Ensuite que le chef d'escadre y versa deux millions, mais il faut que ces deux millions dont le général n'étoit pas l'ordonnateur, furent Employés à tout autre objet qu'à Celuy de la guerre, Et Entièrement Consommés En moins d'un mois. Il ne faut que jetter les yeux sur la Correspondance du général avec le sieur de Leyrit Et le jésuite Lavaur pendant le siège de St David, pour le reconnoitre. La vivacité des plaintes très fondées de mr de Lally sur le changement de destinations de ces deux millions, Et les aveux formels des deux autres, non seulement qu'il y avoit disette des fonds, mais même qu'elle Etoit attribüée à la Compagnie qui depuis deux ans n'en Envoyait point d'Europe. Il peut se faire que les deux millions Eussent suffy pour soudoyer les trouppes etc. mais il falloit pour Cela qu'ils Existassent, Et qu'à l'insçü Et contre l'intention du général, on n'en Eut pas acquitté d'anciennes dettes. Enfin Cette disette Etoit si Constante, que les matelots de la flotte refusant de faire le service pour la Conduire devant St David, sous le prétexte que le sieur de Leyrit ne leur payoit pas deux mois de solde, le général fut obligé de faire cesser leurs plaintes, En avançant 60000 ll. de ses propres deniers, fait sur lequel on n'a pas osé Elever le doute le plus léger.
L'auteur dans l'objet de grossir les fonds, pour avoir occasion d'inculper toujours davantage le général qu'il poursuit au delà du trépas avance que la Caisse militaire ne s'ouvroit malheureusement que par ses ordres, Et qu'il y avoit Eté versé plus de sept millions, indépendament des revenus d'Arcatte qui en produisoient six, Et des contributions des Pakagats.
Cette observation Est d'une mauvaise foy insigne sy l'anonime Est instruit. Yl faut d'abord remarquer que la régie des revenus d'Arcatte fut donné de l'aveu du gouverneur, Et que le régisseur En a Compté à un Commissaire du Conseil, ainsi Cet article ne sçauroit Etre la matière d'un reproche. Quand aux Contributions Et à tout ce qui Est Véritablement Entré dans la Caisse militaire. Les trésoriers sont Convenus qu'ils avoient perçu le tout, qu'ils Etoient prêts d'en Compter, Et que le général n'avoit jamais mis la main dans leur Caisse. C'est ce qu'il Eut Eté facile de vérifier En faisant rendre les Comptes. Cette opération seule auroit prouvé d'une manière claire sy mr de Lally avoit ordonné des dépenses inutiles, ou des payemens Etrangers à la guerre, mais les accusateurs sçavoient trop bien ce qui En auroit résulté pour presser cet Eclaircissement, Et ils n'ont voulu que répandre des nuages, Au reste, il En Est de l'Inde comme de l'Europe, on n'y fait pas la guerre sans argent, Et il suffit que le général n'en ait pas pris pour son compte pour qu'il ne puisse Eprouver aucun reproche fondé. S'il se fut oublié à Ce point, L'arrêt n'eût pas manqué de le déclarer Concussionaire, Et C'est ce qu'il n'a pas fait Et qu'il ne pouvait pas faire, puisque les témoins qui avoient Entrepris d'insinüer que mr de Lally s'étoit approprié Certaines sommes, ont Etés démentis par les trésoriers Et forcés de se dédire. Il est vray qu'on trouve dans L'arrêt let mot, Exaction, mais tout le monde sçait qu'il n'a rapport qu'aux taxes que le général avoit mis sur les habitans pour Etre En Etat de prolonger le blocus, taxes au surplus qui furent perçües par ceux qui En Etoient chargés par Etat, Et dont il a Eté bien recconu qu'il n'étoit pas Entré une obole dans la poche du général.
L'arrêt répondroit Egalement à l'article des sommes tirées des dobachis, de rajasaab, de ramalinque etc. sy Ce n'étoit pas là de véritables Calomnies fondées sur des oüi dire, dénuées de toute Espèce de preuves, Et dont on Connoit la source.
2.On vous fait un Crime monsieur d'avoir dit que le général trouva peu de munitions. Pour Etablir le Contraire, on observe que le général Cootte En trouva beaucoup dans Pondichery, Et on veut vous apprendre qu'on fabrique de fort bonne poudre dans l'Inde.
On n'a jamais Contesté qu'il n'y Eut quelques munitions de guerre. On a Cependant lieu de Croire qu'elles n'étoient pas fort abondantes à l'arrivée du général, puisque dés le Commencement de ses opérations, il se plaignoit au sieur de Leyrit de ce que tout averti depuis huit mois, il n'avoit pas fait le moindre préparatif, Et que celuy cy s'en Excusoit sur ce que la Compagnie l'avoit laissé manquer d'argent, Et que l'escadre par laquelle il attendoit bien des Espèces de secours se trouvoit au Contraire dénuée de tout.
Les munitions Existantes Etoient sans cesse demandées, fournies avec la plus grande lenteur, Et d'ailleurs Etoient dans le plus grand désordre, au point qu'on Envoya pour le Siège de St David des canons qui Etoient Encloüés, Et des boulets ou bombes qui n'étoient pas de calibre. Enfin, il Est d'autant moins surprenant qu'on En aye trouvé dans la place après la reddition, qu'il ne fut pas au pouvoir du général de les Consommer parceque l'ennemy ne faisoit que bloquer la place Et ne l'assiégeoit pas, Et qu'on n'exécuta pas l'ordre qu'avoit donné le général de moüiller les poudres Et de brûler les Effets, sous le vain prétexte que Cet ordre Etoit donné bien moins pour En priver l'ennemy, que pour l'exciter à traitter plus mal l'habitant. Mais monsieur, l'auteur de la lettre tombe dans une Equivoque Volontaire, quand Vous avés parlé de munitions de tout Espèce, vous y Compreniés sans difficulté les vivres, qui sont l'essentiel. Or la Correspondance prouve jusqu'à la démonstration qu'ils ont presque toujours manqué Et que le général En a fait achetter pour L'armée sur ses propres fonds. Cette disette a Eté sy Constante que suivant toujours le plan d'attaque qu'on s'étoit formé, on n'a pas manqué d'en rendre responsable mr de Lally qui n'étoit ni intendant, ni général des vivres, Et qui comme de raison témoignait à l'administration de la Compagnie dans L'Inde, des besoins qu'elle auroit dû prévenir Et qu'elle devoit, au moins, faire cesser. Au reste il Est prétendu qu'indépendament des munitions de guerre, le général Cootte trouva des vivres dans la place, fait qui justifieroit tout à la fois, Combien peu l'habitant se prétoit, Et Combien les foüilles ordonnés par mr de Lally, Et qu'on a Converties En abus d'autorité Etoient indispensables pour prolonger la résistance, Et donner à la flotte qu'on se flattoit toujours de Voir paroitre le temps d'avancer.
3. On trouve Etrange que vous ayés voulu faire Entendre que l'armée Etoit Composée de noirs Et de Cipaÿes, on vous oppose que les trouppes que le général trouva Etoient blanches, Et qu'elles avoient pris d'assault la forteresse de Chetoupel sous les ordres du chevalier de Soupire. Enfin pour En grossir le nombre, on a grand Soin de faire une pompeuse Enumération des vaisseaux de l'escadre françoise, Comme sy mr de Lally disposoit de Cette Escadre, à laquelle, les circonstances, sans doute n'ont pas permis de rendre les Services bien importans. Sy donc, on En Excepte des Soldats de marine qui furent mis à terre Et joints à L'armée à une Certaine Epoque, il faut raÿer les Vaisseaux de la ligne de Compte, le surplus de notre infanterie blanche Consistoit dans les régimens de Lorraine, de Lally, Et le battaillon de L'Inde.
D'abord, on ne persuadera à personne que quatre ou Cinq battaillons formassent le gros de L'armée. Le général s'en servit utilement dans ses Expéditions, mais ils ne pouvoient pas Etre par tout, il y avoit des places Et des postes à garder, Et le nombre des Soldats diminuoit chaque jour par la guerre ou la désertion, sans remplacement, parcequ'on ne recrûtte pas des blancs En Asie, il faut les tirer d'Europe Et les attendre longtemps.
Il paroit dès lors démontré que le gros de l'armée, Et c'est ce qu'on appelle L'armée En bon françois, Etoit Comme vous l'avés dit, sur tout après la prise de St David, Et la retraite de Tanjaour, Composée de noirs Et de Cypaÿes, que l'anonime apprétie, page 5 notte B de sa lettre, de manière à faire Connoitre jusqu'à quel point le général pouvoit Compter sur Eux. On n'a rien à ajouter à ce qu'il En rapporte.
4. Enfin monsieur, on Vous imputte d'avoir Voulu justifier Votre amy En flétrissant L'honneur de toute une armée. Vous ne Vous seriés pas attendu à Ce reproche, fondé Sur ce que vous avés rapporté page 216, Volume 2 du Siècle de Loüis quinze. Une lettre d'un officier général, nullement partisan de mr de Lally, Et Sur ce que Vous avés dit qu'il ny avoit point de Subordination dans l'armée, tandis qu'on assure qu'elle Etait telle, qu'elle Egaloit tout ce qu'on pouvoit attendre des plus vieux Corps qui servent En Europe Comme le prouve assés L'ascendant prodigieux qu'une poignée de nos soldats avoient Souvent Sur une multitude d'Indiens armés.
Il Suffit que l'officier général dont Vous avés vue la lettre, n'aye pas pensé Et parlé Comme le Voudroit L'anonime pour qu'on le Couvre d'injures, Ce qui est d'abord fort mal, mais ce qui ne l'est pas moins Et qui de plus Est fort injuste, C'est de prétendre que Votre honneur souffre par cela seul que Vous avés puisé, dans cette Source prétendüe Empoisonnée. Quoiqu'on En puisse dire, le témoignage de Cet officier général peut mériter plus d'attention que Celuy de notre auteur, — Et son Eloignement marqué pour mr de Lally doit rendre d'autant moins suspect ce qu'il a Cru devoir Consigner dans sa lettre.
Mais c'est peut Etre la première fois que sur un reproche d'insubordination fait à une armée En général, des particuliers se le soient adopté, Et ayant cru devoir s'en deffendre avec aigreur, il est arrivé plus d'une fois que nos armées d'Europe En ont Eté taxé, Et on n'a point Vu de don Quichotte S'élever pour les En justifier. D'ailleurs, quoique l'insubordination soit un grand défaut, Elle peut assurément Exister, sans que pour cela la bravoure Et l'honneur de Ceux qui s'en rendent Coupable puissent Etre attaqué. C'est principalement d'après Cette dernière réflection monsieur que je ne crains pas de Vous dire que c'est avec raison que Vous avés parlé du manque du Subordination qui s'est manifesté trop publiquement, tant dans le civil que le militaire, pour pouvoir Etre révoqué en doute. Les faits suivants démontreront Cette vérité.
D'abord on voit dans l'état Des Conseillers Et Sous marchands de l'Inde remis par L'administration de Paris au général, que le Sieur de Leyrit ne sçavoit pas maintenir la Subordination, Et dans Ses instructions, qu'il Eut attention de ne Confier aucune Expédition aux Seules trouppes de la Compagnie des Indes, Etant à Craindre que l'esprit d'insubordination, d'indiscipline, Et de Cupidité, ne fit Commettre des fautes aux officiers qu'il Etoit de la Sagesse de prévenir afin de n'avoir point à les punir, quoique les Expressions générales ne fussent Certainement pas applicables à tous les particuliers, Il doit néanmoins Etre permis après dela de dire Et de Croire que la Subordination ne régnoit pas aux Indes.
C'est sans doute y avoir manqué, de la part des matelots de l'escadre que d'avoir refusé le Service pour faire paroitre la flotte devant St David, jusqu'à ce qu'ils Eussent reçû les deux mois de paye dont mr de Lally fit L'avance, Et de la part des trouppes de terre que de S'être révolté à Vandavachy, de S'être Emparé de l'artillerie, d'avoir quitté ses drapeaux Et ses officiers, Et d'avoir Eté Camper à deux lieües de Son quartier, le tout faute de Solde, jusqu'à Ce que le général, au moyen de Son propre argent, Eut fait rentrer cette infanterie dans le devoir par l'entremise du chevalier de Crillon, qui Est Vivant Et fort En Etat de démentir ces Calomnies, dénüées d'ailleurs de toute Vraisemblance, par lesquelles, les Ennemis du Comte de Lally Vouloient faire Entendre qu'il Etoit luy même auteur de Cette révolte, qu'il n'eut pas fait Cesser, s'il l'avoit Suscitée. Peut on aussy ne pas taxer d'insubordination Et la Conduite que tint après La segonde bataille de Vandavachy, la cavalerie qui faut de Solde, sonna le bout de Scelle, Et abbandonna Ses Etendars Et ses officiers, qui Courant après parvinrent à la ramener au Camp, Et la démarche des Sous marchands Et Employés de la Compagnie, qui Commandés pour faire nombre dans une montre de nos forces, propre à En imposer à l'ennemy, Entrèrent armés dans la Cour du gouvernement où logeoit le général, Et luy déclarèrent qu'ils n'étoient pas fait pour passer En Revüe, Et qu'on ne pouvoit Exiger d'eux d'autre service que Celuy de l'intérieur de la place.
Indépendament de cela monsieur Et de deux Conseils de guerre qui déclarent atteint et Convaincus de Crime de lâchetté deux officiers du bataillon de l'Inde qui Commandoient dans Karikal Et Villenour, places qu'ils rendirent Sans tirer un coup de fusil, indépendament des billets injurieux répandus dans l'armée, des placards infâmes affichés à Pondichery Contre le général, Et des traverses qu'il Epprouva dans presques toutes Ses opérations, il ne Seroit pas difficile de Vous citer des défauts de Subordination de quelques particuliers En matière importante, mais les bornes d'une lettre ne permettent pas de tout dire, Et je Crois d'ailleurs En avoir dit assés pour prouver que Vous n'avés fait que rendre hommage à la Vérité, En avançant que le général ne trouva pas dans son armée La Subordination nécessaire.
Je ne finirois pas monsieur Sy j'entreprenois de relever tout ce qui Est répréhensible dans la lettre qui Vous a Eté adressée, Et qu'on a Cru Sans doute une belle pièce, puisqu'on la fait imprimer Et répandre dans le public avec affectation, Il est Vray que les auteurs ne Se sont pas nommés, Et c'est une précaution Sage quand on avance des faits qui peuvent Etre aussy facilement démentis, Et Sur tout quand on dit des injures attroces à un homme tel que Vous.
Sy j'use de la même précaution, Ce n'est assurément pas par le même motif, mais uniquement parceque Sy je regarde Comme honnorable de Contribüer à la deffense d'un homme qu'on persécute après sa mort, en mettant Sous vos yeux des faits dont vous pourriés n'être pas instruit, Et que Vous Sçaurés faire Valoir bien mieux que qui que ce puisse Etre, je regarde aussy que n'ayant pas l'honneur d'être Connu de Vous, il est d'autant plus inutile de décliner mon nom qu'il ne fait Rien à la chose, ne S'agissant que de Sçavoir qui de L'anonime ou moy a dit La Vérité.
Je me flatte monsieur qu'elle Est Entièrement développé dans la présente Lettre. Ce ne Sont point des propositions générales, Et des justifications Vagues que je mets En avant, ce Sont des faits particuliers prouvés par les pièces qu'on trouve à la Suite des mémoires du général Lally, Contre La teneur et la fidélité desquelles Rien n'a Eté objecté.
Ce n'est pas à moy à répondre à la manière peu mesurée dont on ose parler de Votre Siècle de Loüis quinze, le public Eclairé Vous Vengera de Reste de Cette petite Critique qu'on Sçaura apprétier, Et dont le motif pris de Ce que Vous avés fait une action généreuse, ne pourra qu'exciter de plus En plus Son indignation.
J'ay l'honneur d'être avec respect monsieur Votre très humble Et très obéissant Serviteur.
P. S. Au moment où j'allois jetter ma lettre à la boette, un de mes amis m'a fait observer qu'on ouvroit quelquefois les lettres. La Crainte que Celle cy ne fût supprimée m'a fait prier le même amy de s'en charger Et de la mettre à la poste en passant à Lion. Je l'ay décachetée pour Vous En faire l'observation.