1749-09-05, de Jeanne Antoinette Le Normant d'Etioles, marquise de Pompadour à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ay reçu et présenté avec plaisir au roy les Traductions que vous m'avés envoyé monsieur.
S. M. les a mis dans sa bibliotèque avec des marques de bonté pour L'auteur; sy je n'avois pas sçu que vous étiés malade le stile de votre segonde lettre me L'auroit appris. Je vois que vous vous affligés des propos et des noirceurs que L'on vous fait. N'y devriés vous pas estre accoutumé et songer que c'est le sort de tous les grands'hommes d'estre calomnié pendant leur vie et admiré après leur mort? Rapellés vous ce qui est arrivé aux Corneils, Racines &ca, et vous verrés que vous n'estes pas plus maltraité qu'eux. Je suis bien éloigné de penser que vous ayés rien fait contre Crebillon. C'est ainsy que vous un talent que j'aime et que je respecte. J'ay pris votre party contre ceux qui vous accusoient ayant trop bonne opinion de vous pour vous croire capable de ces infamies; vous avés raison de dire que L'on m'en fait d'indignes; j'oppose à toutes ces horreurs le plus parfait mépris et suis fort tranquile puisque je ne les essuÿe que pour avoir contribüé au bonheur du genre humain en travaillant à la paix. Quelqu'injuste qu'il soit à mon égard je ne me repend pas d'avoir contribué à le rendre heureux. Peut estre le sentira t'il un jour; quoiqu'il en arrive de sa façon de penser je trouve ma récompense dans mon coeur qui est et sera toujours pûr. Adieu, portés vous bien, ne songés pas à aller trouver le roy de Prusse quelque grand roy qu'il soit et quelque sublime que soit son esprit. On ne doit pas avoir envie de quitter notre maitre quand on connoit ces admirables qualités. En mon particulier je ne vous le pardonnerais jamais. Bonjour.

La Mise de Pompadour