1768-09-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Prince Aleksandr Romanovich Vorontsov.

Monsieur,

Par la dernière lettre dont vous m'honorés, vous m'ordonnés de vous écrire à Péterbourg.
Je vous fais mon compliment d'être auprès de la législatrice du nord. J'eus l'honneur de lui envoyer il y a six mois un gros paquet qu'elle avait daigné demander. Je me flatte que les bons serviteurs du Papa et des jésuites qui sont en si grand nombre en Pologne, n'auront pas intercépté mon paquet. Mon gros paquet partit au mois de Mars, de Genève, revètu d'une toile cirée, et fut addressé à Hambourg. Il est vrai que le chemin est long et que vous auriés plus-tôt pris deux ou trois provinces polonaises, qu'un paquet ne serait venu de Genève chez vous.

Je suppose que Mr Le Prince de Galitzin est actuellement dans vôtre cour. Un de mes grands regrets est de n'avoir pu avoir l'honneur de le voir avant son départ de France. C'est un des hommes pour qui je conserverai toute ma vie la plus respectueuse estime. Vous mettriés le comble à vos bontés, Monsr, si vous vouliés bien lui dire à quel point je lui suis dévoué.

J'ai été plus heureux auprès de Mr Le Cte de Schouvaloff, chambellan de sa Majesté Impériale, et de Madame la ctesse sa femme. Je me souviendrai toujours qu'ils ont daigné passer quelques jours dans mon hermitage, et des jolis vers qu'il fait dans notre langue. Je vous demande en grâce de ne me pas oublier quand vous le verrés.

Mais ce qui sortira bien moins de ma mémoire, c'est le bonheur que j'ai eu de vous faire ma cour dans ma petite maison des Délices, quand vous étiés à Genève. Vous aviez une espèce de Mentor avec vous mais il ne valait pas son Télémaque. Votre sagesse qui prévenait l'âge et les agréments de votre conversation me charmaient. Je vis combien vous étiés digne, des plus grands emplois qui seront sans doute vôtre partage.

Je deviens bien vieux, je n'en serai pas témoin, mais jusqu'au dernier moment j'aurai l'honneur d'être avec les sentiments les plus vrais et les plus respectueux

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire