Genève ce 4e Avril 1761
Monsieur,
… On nous dit ici que vous venés de donner une nouvelle Edition de la Diète Européane de l'Abbé de St Pierre avec des Additions de votre façon, et que Voltaire, qui sur la foi de son coeur croit presque toujours le bien impossible, vous a répondu par une lettre prétendue de l'Empereur de la Chine.
Ah! si vous vouliés bien saisir enfin l'occasion de confondre une bonne fois le Méchant, de venger le monde et votre patrie, non, vous n'auriés pas rendu peut-être de plus grand service aux hommes, et vous n'auriés rien fait de plus glorieux pour vous. A vous parler franchement, j'aurois été scandalisé des louanges que vous lui avés eu données, si je n'avois présumé que votre charité et votre indulgence avoient attribué à la calomnie tout le mal que l'on vous avoit dit de lui, ou du moins la plus grande partie. J'ai été moimême longtems dans ce préjugé, mais la moitié de ce qu'il a fait près de nous eût suffi pour le détruire, vivre en Sybarite, parler en Impie, vexer ses voisins, fourber ou jouer quiconque traitoit avec lui, corrompre ses hôtes par ses amusemens, en même tems qu'il les corrompoit par ses moeurs, voilà ce dont j'ai été ou le témoin oculaire ou que j'ai appris de cent bouches non suspectes, de Déistes même assés honnêtes gens pour désavouer un Apôtre si indigne. Aussi n'étant même que Proposant, n'ai-je jamais voulu le voir, quoi qu'un petit service que je lui rendis, m'en fournit l'occasion.
Mais c'est trop parler de ce Coquin…. Bonjour, mon Très Cher Maître, aimés-moi toujours, je chéris toujours plus la Vertu et vous.
A. J. Roustan Min.