1766-06-15, de Pierre Rousseau à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Quoique vous ayés réduit mon journal à la diète de la sardine fraiche, permettés moi de vous communiquer un article du Monthly Review du mois d'avril dernier, qui vous regarde, et qui ne m'intéresse pas moins.
Cet article est intitulé ainsi, Lettre de Mr de Voltaire à ses amis du Parnasse &cc.

à M. Rousseau de Toulouse

Vous m'avez écrit Mr il y a quelque tems au sujet d'une lettre aussi absurde que criminelle, inséré dans le Monthly Review du mois de juin; je vous ai déjà marqué combien j'étois indigné de cette basse imposture, et combien je la méprise; mais comme il y est question de personnes très respectables, il est important d'en connoitre l'auteur, et j'offre 50 Louis à quiconque le démasquera.

Voici La mauvaise plaisanterie que fait le journaliste au sujet de cette offre.

Comme la précédente Lettre adressée à notre confrère de Toulouse, est sans datte, nous ne sçaurions deviner dans quelle année cette lettre a paru…. Comme nous sommes très portés à croire qu'elle n'a jamais été insérée dans aucun de nos journaux, nous offrons à l'exemple de Mr de Voltaire, une récompense de 50 deniers (somme très considérable pour de pauvres auteurs) à quiconque découvrira La Lettre dont Mr de Voltaire se plaint et dans quel volume elle est insérée.

Je viens de recevoir plusieurs fugitives échappées de vos mains, Monsieur, et qui ne sont point dans vos œuvres; comme le public est très avide de tout ce qui sort de votre plume, je ne crois point que vous trouviés mauvais, Monsieur, que de tems en tems, j'en donne quelqu'une.

Vous aviés eu la bonté de me promettre quelque chose pour enrichir mon journal; puis je L'espérer apprésent que La Gazette Littéraire de L'Europe n'a plus lieu? Elle avoit été annoncée avec tant de faste! Les Ministres de France devoient oublier Les intérêts du trône et de la nation pour fournir à cet ouvrage leur contingent de toutes les quinzaines, et Mrs les journalistes oublioient en même tems la gloire des Lettres de leur pays, ce qui a paru un peu inconséquent, à moins que la France ne soit plus en Europe, depuis les tremblemens de terre, et depuis qu'on tente inutilement d'imposer silence à la Puissance temporelle et à la puissance spirituelle.

Je suis avec tout le respect et toute L'admiration que je vous dois,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Rousseau