1740-07-24, de Alexis Piron à Marie Thérèse Quénaudon.

Je gagne tout doucement mon terme, sans avoir encor rien gâté et avec un intérieur plus tranquille que je ne l'avais les autres années.
Dieu veuille que cela dure jusqu'à Paris! Votre régularité à m'écrire ne contribue pas peu à ma sagesse, et je dors sur l'espérance que vous ne vous relâcherez pas.

J'ai eu un rhume qui m'a fait garder la chambre trois jours, et qui est parfaitement guéri. J'en ai été quitte pour la retraite, la diète et de belle eau claire; mais quant à présent, faites la boire à notre chien, frère Lubin ne le peut faire. On ne peut se mieux porter que je fais. Voltaire, avec tant d'autres, a envoyé régulièrement chez moi ces trois jours là: aussi hier, je ne l'oubliai pas dans mes visites. Il a déjà changé de logis. Son hôte m'en parla fort mal et me dit surtout qu'il avait plus besoin de demeurer chez un apothicaire que chez un marchand de vins. Il est vrai qu'il voyage avec les provisions de Medalon. Je fus le chercher chez son nouvel hôte, et je le trouvai sur sa chaise percée. Il me fit bien vite rebrousser à la salle d'audience, où il me suivit tout breneux. J'eus avec ce foireux là une heure ou deux d'entretien aigre-doux auquel je fournis assez joliment mon petit contingent. C'est un fou, un fat, un ladre, un impudent et un fripon. Un libraire de Bruxelles l'a déjà traduit devant le magistrat pour cette dernière qualité, et depuis quatre jours qu'il est ici, il a déjà pris six lavements et un procès. Les belles aventures de voyage!…