1768-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Tollot.

Le jeune homme, monsieur, à qui vous avez bien voulu écrire, serait très fâché de vous avoir contristé, attendu qu'il n'a voulu que rire.
Tout le monde rit, et il vous prie instamment de rire aussi. On peut très bien être citoyen de Genève et apothicaire sans se fâcher. Mr Coladon mon ami est d'une des plus anciennes familles de Geneve et un des meilleurs apothicaires de l'Europe. Quand on écrit à un apothicaire en Allemagne, l'adresse est, à monsieur N., apothicaire très renommé. MM. Geoffroi et Bousleduc, apothicaires, étaient de l'académie des sciences, et ont eu toute leur vie de l'amitié pour moi. Tous les grands médecins de l'antiquité étaient apothicaires et composaient eux mêmes leurs remèdes, en quoi ils l'emportaient beaucoup sur nos médecins d'aujourd'hui, parmi lesquels il y en a plus d'un qui ne sait pas où croissent les drogues qu'il ordonne.

Etes vous fâché qu'on dise que vous faites de beaux vers? Si Hippocrate fut apothicaire, Esculape eut pour père le dieu des vers. En vérité, il n'y a pas là de quoi s'affliger! On vous aime et on vous estime; soyez sain et gaillard et n'ayez jamais besoin d'apothicaire.