1756-04-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théodore Tronchin.
Depuis que vous m'avez quitté,
Je retombe dans ma souffrance,
Mais je m'immole avec gayté
Quand vous assûrez la santé
Aux petits fils des rois de France.

Votre absence, mon cher Esculape, ne me coûte que la perte d'une santé faible et inutile au monde. Les Français sont accoûtumés à sacrifier de tout leur cœur quelque chose de plus à leurs Princes.

Monseigneur le Duc d'Orléans et vous, vous serez tous deux bénis dans la postérité.

Il est des préjugés utiles,
Il en est de bien dangereux,
Il fallait pour triompher d'eux
Un Père, un Héros courageux
Secondé de vos mains habiles.
Autrefois à ma nation,
J'osai parler dans mon jeune âge
De cette Inoculation1
Dont grâce à vous, on fait usage;
On la traitta de vision,
On la reçut avec outrage
Tout ainsi que l'attraction2.
J'étais un trop faible interprète
De ce vrai qu'on prit pour erreur;
Et je n'ay jamais eu l'honneur
De passer chez moi pour profète.
Comment recevoir, disait-on,
Des vérités de l'Angleterre?
Peut-il se trouver rien de bon
Chez des gens qui nous font la guerre?
Français, il fallait consulter
Ces anglais qu'il vous faut combattre:
Rougit-on de les imiter
Quand on a si bien sçu les battre?
Egalement à tous les yeux
Le Dieu du jour doit sa carrière;
La vérité doit sa lumière
A tous les temps, à tous les lieux.
Recevons sa clarté chérie
Et sans songer quelle est la main,
Qui la présente au genre humain,
Que l'univers soit sa patrie.

Une vieille Duchesse anglaise aima mieux autrefois mourir de la fièvre que de guérir avec le Quinquina, parce qu'on appellait alors ce remède la poudre des Jésuites. Beaucoup de dames jansénistes seraient très-fâchées d'avoir un médecin moliniste. Mais, Dieu merci, messieurs vos confrères n'entrent guères dans ces querelles. Ils guérissent et tuent très-indifféremment les gens de toute secte.

On dit que vous prendrez votre chemin par Lunéville. Faites vivre cent ans le bienfaiteur3 de ce pays-là, et revenez ensuite dans le vôtre. Imitez Hippocrate qui préféra sa patrie à la cour des rois.

Vos deux enfants me sont venus voir aujourd'hui. Je les ai reçus comme les fils d'un grand homme.

Mille compliments à M. de la Batte si vous avez le temps de lui parler. Je vous embrasse tendrement.