à Remusberg, ce 7 d'octobre [November]1740
Enfin je puis me flatter de vous voir ici. Je ne ferai point comme les habitants de la Thrace, qui, lorsqu'ils donnaient des repas aux dieux, avaient auparavant mangé la moelle eux mêmes. Je recevrai Apollon comme il mérite d'être reçu, cet Apollon non seulement dieu de la médecine, mais de la philosophie, de l'histoire, enfin de tous les arts.
Vous m'attaquez un peu sur le sujet de ma santé; vous me croyez plein de préjugés, et je crois en avoir peut-être trop peu pour mon malheur.
J'ai lu le Machiavel d'un bout à l'autre; mais à vous dire le vrai je n'en suis pas tout à fait content, et j'ai résolu de changer ce qui ne m'y plaisait point, et d'en faire une nouvelle édition, sous mes yeux, à Berlin. J'ai pour cet effet donné un article pour les gazettes, par lequel l'auteur de l'Essai désavoue les deux impressions. Je vous demande pardon; mais je n'ai pu faire autrement, car il y a tant d'étranger dans votre édition, que ce n'est plus mon ouvrage. J'ai trouvé les chapitres XV et XVI tout différents de ce que je voulais qu'ils fussent: ce sera l'occupation de cet hiver que de refondre cet ouvrage.
Je vous prie cependant, ne m'affichez pas trop, car ce n'est pas me faire plaisir; et d'ailleurs vous savez que, lorsque je vous ai envoyé le manuscrit, j'ai exigé un secret inviolable.
J'ai pris le jeune Luiscius à mon service; pour son père, il s'est sauvé, il y a passé, je crois, un an, du pays de Clèves, et je pense qu'il est très indifférent où ce fou finira sa vie.
Je ne sais où cette lettre vous trouvera; je serai toujours fort aise qu'elle vous trouve proche d'ici; tout est préparé pour vous recevoir, et, pour moi, j'attends avec impatience le moment de vous embrasser.