1765-04-03, de Claude Amable François Robin de La Tremblaye à Voltaire [François Marie Arouet].
Dans un alcove Ténébreux,
Où La fièvre pâle et Tremblante,
Au Teint Livide, au regard creux,
A La démarche chancelante,
Vient tous Les jours, et me présente
Le sequélette Le plus affreux:
Non Loin de ces climats heureux,
Où dans une onde pure et claire,
Le faquir, Le bonze abusé,
Le circoncis, Le baptisé,
Le philosophe et Le Vulgaire
Boivent L'oubli de Leurs erreurs
Et des mensonges de La Terre;
Où Les plus charmants des rimeurs,
Virgile, Milton et Voltaire,
Aux sons variés et touchants
De Leur Lyre aimable et Légère,
Nous font descendre tout vivants:
Près d'un voyage nécessaire
Dont on s'effraye, et dont je ris;
Loin du bigot insupportable,
Dans une paix inaltérable,
Je médite, et je vous écris.
Je ne me croyais pas si sage.
Je vois venir avec courage
Cette heure, où tout s'évanouit;
Où Les enchantements d'un âge
Frivolle, inconstant et volage
Passent avec nous dans La nuit.
Sans soins, sans regrets, j'abandonne
Un Théâtre, où L'ennui foisonne;
Où L'on me trompe, on me séduit;
Où L'imposture m'environne;
Où beaucoup de mal empoisonne
Un bien que j'embrasse et qui fuit.
L'arbitre de nos destinées,
Dans L'aurore de mes années,
Me précipite à mon couchant.
J'aborderai dans un moment
A ces demeures fortunées,
Où Les Popes et Les Newtons,
Les Titus et Les Marc-Aureles,
Les Aristides, Les Catons,
Les Montesquieux, Les Fontenelles
Sont réunis paisiblement:
Damnés icy très saintement,
Je Les verrai dans les asiles,
Heureux, satisfaits et tranquiles,
Philosopher impunément.
Je verai dans ce Lieu charmant
L'oracle fameux de La Grece;
Tenant écolle de sagesse
Et discourant Très Librement.
J'oserai familièrement
Me joindre à L'ardente jeunesse
Qui L'écoutte et Le suit sans cesse,
Et qu'ils instruit en badinant.
Je luy dirai que ce bas monde,
Dont il fut L'auguste ornement,
En folie, en erreurs abonde,
Autant et plus qu'auparavant;
Que Paris insensiblement
Deviendra ce qu'était Athene;
Que sur Les rives de La Seine,
J'ay vû La superstition
Levant au ciel sa Tête altière,
Au bon sens déclarer La guerre
Et déshonorer La raison.
Je diray que L'aréopage
N'est plus dans le cruel usage
Et des flames et du poison;
Mais que, sans changer de génie,
Il prétend d'une autre façon
Outrager La philosophie.

Si mes forces me Le permettaient, j'ajouterais icy bien d'autres choses à La honte de ce siècle, dont Epicure et Lucrece seront, je crois, fort étonnés. Comme vous avez trouvé Le moyen d'entretenir un commerce étroit avec tous ces gens Là, je vous serais très obligé, Monsieur, si vous vouliez bien me charger de quelque chose pour eux. Ils me recevront sans doute avec bonté quand ils apprendront que j'ay eu L'honneur d'être icy bas en correspondance avec vous. On me fait espérer que je serai assez de tems dans ce monde, pour que vous ayez celuy de me charger de Vos commissions pour L'autre; c'est tout ce que je désire, par ce que vraisemblablement c'est La seulle preuve que je pouray vous donner de ma reconnaissance, de mon admiration pour vous, et de mon Tendre attachement à votre personne. Vous seul pouviez m'inspirer Le courage d'écrire une Lettre aussi Longue après trente neuf jours de fièvre continuelle.

L. D. Lt. . . .