1769-12-30, de Paul Claude Moultou à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai feuilleté plusieurs indices des premiers pères, Monsieur, & je n'y ai rien trouvé sur l'habit des Evêques.
Je doute même qu'il existe dans leurs ouvrages aucun passage bien exprès sur ce sujet. Voici ce que dit Spanheim en parlant des prêtres du troisième siècle — [n]on purpura, non Dalmatica, non Pallium Archiepiscopale, non mitra, torques, annulus, crux pectoralis, vestes aliæ sacerdotales et pontificales, de quibus altum in genuinis hujus ætatis monumentis silentium est. Introducta autem hæc sensim, simul cum luxu & missatico apparatu, ex Judaïco sacerdotio, cumprimis a temporibus Gregorii primi. — Ce silence dit tout; les pères ne pouvaient parler d'une chose qui n'existait pas, & qu'ils n'imaginaient pas qui dût jamais exister. — On a des preuves que les prêtres durant les trois premiers siècles de l'Eglise ne s'habillaient pas autrement que les Laïques; vous en trouverez en abondance dans le livre de Tertullien de Pallio. Le Pallium était l'habit ordinaire des chrétiens, il était plus modeste & plus sévère que la Toge, et come les chrétiens affectaient de le porter, les payens se servaient de cette façon de parler pour dire q[u]'un home s'était fait chrétien, il a passé de la toge au Pallium, a Togâ ad Pallium.

Quand le prêtre officiait il gardait son Pallium, & ne mettait point de surplis. Tertullien au moins n'en dit pas un mot, aucontraire il blâme ceux qui posaient leur manteau pour fère leurs prières. De oratione, p.659, Quorundam positis penulis orationem fratze: Sic enim adeunt ad Idola nationes: quodutique si fieri oporteret, Apostoli qui de habitu orandi docent, comprehendissent, nisi si qui putant Paulum penulam suam in oratione penes carpum reliquisse.

Vous n'ignorés pas non plus que Justin ne quita point après sa conversion son habit de Philosophe, que St Jerome dit la même chose d'Aristides, Philosophe athénien, & Origènes d'Heraclas qui fut depuis (n. B.) Exêque d'Alexandrie. Origènes observe que cet Heraclas ne prit l'habit de Philosophe qu'en se fesant Chrétien, et il ajoute qu'il l'a toujours porté depuis. Vous trouverez le passage d'Origènes dans l'histoi. Eccles. d'Eusèbe, L.VI, c.19.

A l'égard de l'égalité des premiers chrêtiens il me semble que rien n'est mieux pro[uvé] en lisant ce que St Paul dit de leurs assemblées dans son Epitre aux Corinthiens, on croit être dans un conventicule de Quakers. La Manière dont on élut ensuite les Evêques prouve invinciblement la forme purement démocratique de ces premières assemblées; Judicio Dei (dit Pontius dans la vie de Cyprien), & Plebis favore ad officium sacerdotii & Episcopatus gradum, ad huc Neophytus electus est. Cyprien lui même dit qu'il fut élevé à l'Episcopat Populi universi suffragio.

Toutes les affaires des églises se traitaient dans les assemblées des chrétiens; on le voit par cette lettre du même Cyprien aux prêtres et aux laïques de son église; Epist.6, 5͞, p.17. De iis quæ vel gesta sunt vel gerenda, sicut honor mutuus poscit, in commune tractabimus. Toutes les lettres que les églises recevaient étaient luës devant tout le peuple. Sanctissimæ & amplissimæ plebi, legere te semper litteras nostras, Cypr. E.55, 2͞1. Toutes celles que les églises écrivaient étaient écrites au nom de ce même peuple. Vicarias vero pro nobis ego & college & fraternitas omnis has advos litteras mittimus, Apud Cypria Epis.58, 2͞. Tout le peuple était présent aux Censures Ecclésiastiques, & concourait à l'excomunication, ou à l'absolution par ses suffrages, Cyp. Epis.40 ad plebem, Secundum vestra divina suffragia conjurati. Dans sa lettre 10 4͞ (en parlant des tombés) Acturi apud plebem universam causam suam, et dans sa lettre 12 ad plebem, 1͞, Examinabuntur singula præsentibus & judicantibus vobis.

Ajoutons que les Laïques ne perdirent que fort tard le droit de prêcher; Origènes prêcha à Alexandrie dans le temps qu'il était simple Laïque, et l'Evêque Demetrius l'aiant trouvé mauvais, fut blâmé par les Evêques de Jerusalem et de Cæsarée, qui dirent que cela s'etait toujours fait & se ferait encore, Eusè. Hist.Eccles., L.VI, c.19.

Ce qui me frapa bien davantage c'est que du temps de Tertulien même les Laï[ques] avaient le droit de consacrer quand ils manquaient de prêtres; Vous pouvés [en t]rouver la preuve dans le livre de ce père de Castitate. Si nous croio[ns, dit il, que ce] qui n'est pas permis aux Prêtres, l'est aux Laïques nous nous tro[mpons, car] nous autres Laïques ne somes nous pas prêtres? Il est écrit, il nous a fait R[…] & sacrificateurs à son Dieu, et à son père. L'autorité de l'Eglise et l'hon[neur] réservé à l'assemblée de ceux qui ont les ordres sacrés, qui parait en ce qu'ils sont assis, mettent quelque différence entre ceux qui sont ordonés et le peuple. Mais là où il n'y a point d'assemblée Ecclésiastique (offers & tinguis) vous offrés & vous baptisés, et vous êtes vous seul prêtre pour vous même, où il y a trois persones il y a une Eglise, encore qu'elles soient Laïques. ….. Baptisés-vous et offrés-vous après avoi[r] contracté un second mariage? Combien plus est-il criminel à un Laïque qui s'est marié une seconde fois de fère les fonctions du sacerdoce, puisqu'on l'ôte a un prêtre qui a fait la même chose.

Offers & tinguis, vous offrés & vous baptisés. Rigaltus & Grotius ont entendu par là la consécration & le baptême. Erasme a pensé de même que dans les 1ers temps les fidelles consacraient du pain & du vin & communiaient ensemble sans qu'il y eût de prêtre dans la compagnie, voiés sa lettre a Cutbert Tonstal, L.XXVI Epist.

Pardon, Monsieur, de toutes ces rapsodies, touts ces monument de la primitive eglize sont-ils autre chose que des rapsodies? Disposés absolument de moi, j'ai le même zèle que vous pour la vérité. Mais ne me reprochés pas, Mrs Chirol & Philibert, c'est de l'invention du Gazettier, je lui aurais pardonné de mettre Vernet à la place, de lui à eux il y a la différence du renard à l'âne. Daignés agréer mon profond respect.