22e Janvier 1760
Mon cher ami j'aurais été bien étonné si leurs excellences qui pensent si noblement, et qui ont tant de sagesse s'étaient laissées surprendre aux insinuations d'un scélérat tel que Grasset.
Je suis toujours enchanté des bontez inaltérables de M. de Freydenrick. Si tous les hommes d'état luy ressembloient, les choses en iraient mieux, et Mtre Pangloss trouverait avec moins de peine le meilleur des mondes possibles.
Je ne sçais ce que c'est que les pauvretez de Freron, et touttes ces misérables brochures dont on est chargé, rassassié, dégoûté à l'excez et qui tombent au bout de deux jours dans l'éternel oubli qu'elles méritent.
Nos affaires de France sont un objet plus intéressant. On n'a point encor trouvé de topique pour les blessures faittes à nos finances. Je me rallentis sur mes bâtiments. Je vais selon le temps, et ce ne m'est pas assurément le temps de décorer des châtaux. J'ay peur que cette année la paix ne soit un châtau en Espagne.
A propos je me suis mis à lire litteras obscurorum vivorum que je n'avais daigné jamais regarder par préjugé contre le siècle de barbarie où elles furent faittes. Je suis émerveillé. Cela vaut mieux que Rabelais. C'est dommage que notre sainte église Romaine y soit tournée en ridicule, mais quelle naiveté! quelle bonne plaisanterie! Je pouffe de rire. Je vois qu'à la fin du 15 siècle on savait déjà du grec en Allemagne — et rien en France — nous sommes venus les derniers en tout, et nous sommes actuellement ultimi hominum. Interim Vale.
V.