1770-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Vous m'obligez beaucoup, mon cher philosophe, et vous me confondez.
Figurez vous que je n'ai prèsque aucun des livres qui me sont nécessaires, pas même le traitté De pallio, de ce fou de Tertulien.

Je me souviens très bien d'avoir lu que les Evêques n'avaient pris l'arlequinade des habits pontificaux qu'à la fin du 4e siècle.

Je pense bien fermement qu'il n'y a de chrétiens primitifs que les bons Quakers et les anabatistes et que les premiers disciples ressemblaient parfaittement à vos rues basses, sur lesquelles le procureur général Tronchin n'avait aucune autorité.

Ah! mon cher philosophe, que vous mettriez tout celà dans un beau jour! Vous feriez valoir la liberté naturelle des hommes. Il est clair que le christianisme ne fut pendant trois cent ans qu'une république. Il serait bien doux d'abaisser l'orgueil épiscopal en disant modestement la vérité, sans casser leurs crosses sur leurs épaules.

Malheureusement tous ces déclamateurs appellés pères de l'Eglise se contredisent à chaque page. J'ai un petit traitté du batême de Tertullien, où il permet à peine aux Laïques de batiser; qu'ils prennent garde, dit il, de s'attribuer un ministère qui n'apartient qu'à l'Evêque, Il y a toujours une envie de dominer qui perce, depuis le fier Paul, jusqu'au dernier capucin de nos jours.

Venez à nôtre secours, philosophe aimable; on imprimera d'abord L'A tout entier, et rien que L'A. Soiez nôtre Alpha, a te principium. Faites l'article Apôtre, qui rectifiera celui qui est déjà fait, et Tems apostoliques, qui n'est pas fait. Ces deux morceaux seraient les plus précieux de tous; vous y pourez mettre tout ce que vous voudrez; la carrière est grande et belle.

Je suis d'ailleurs bien malade, et prèsque sans secours.

Bon soir, cœur noble et esprit juste. Vous m'outragez par des formules; je vous aime trop pour les imiter.

V.

Je rouvre ma Lettre pour vous dire que je tombe malheureusement sur la Lettre 10 de st Cyprien aux martirs et confesseurs; il leur dit tout net, Il y a quelques prêtres qui n'ont ni la crainte de Dieu, ni le respect dû à l'Evêque etca. Celà me fâche. Voilà bien peu de modestie. Je n'en trouve nulle part que chez ceux qui sont absolument retirés des affaires. L'Evêque d'Annecy est aussi orgueilleux que Sixte 5, et un sacristain l'est autant que tous les deux. Il est vrai que dans d'autres endroits Cyprien fait des compliments au peuple, mais c'est pour le mieux écraser.

Dans la Lettre 25e'Lorsqu'il s'agit d'un crime si considérable qui a fait de si prodigieux ravages par toute la terre, il faut consulter sur celà les Evêques, les prêtres, les diacres, les confessurs, et les Laïques même qui sont demeurez fermes'. Ce même n'est-il pas bien consolant? Il me semble que je vois les anciens Romains qui fesaient manger leurs esclaves à leur table une fois par an, et leur fesaient donner cent coups d'étrivières le reste de l'année.

La peste soit de L'orgueil et des orgueilleux, comme La Fleche dit, La peste soit de l'avarice et des avaricieux!