27 juin [1764] aux Délices
Monseigneur,
Il faut que vous permettiez encor cette petite importunité.
Je sçais respecter vos occupations. Mais il y a une bagatelle très importante pour moy, pour la quelle je vous implore. Elle n'est ny sacerdotale ny épiscopale. Elle est académique. On va jouer une tragédie où votre Eminence n'ira pas, et où je voudrais qu'elle pût aller. C'est ce triumvirat, cet assemblage d'assassins et de coquins illustres sur quoy je vous consultai l'année passée quand vous aviez du loisir. J'ay oublié de vous demander le secret, et je vous le demande aujourdui très instament. On va donner la pièce sous le nom d'un petit exjésuite. Prétez vous à cette niche si on vous en parle. Je vous prends pour mon confesseur. Vous ne me donnerez peutêtre pas l'absolution, cependant je vous jure que j'ay suivi vos bons avis autant que j'ay pu. Si la pièce est siflée, ce n'est pas votre faute, c'est la mienne. Comme vous voilà établi mon confesseur je vous avouerai, toutte réflexion faitte, que malgré mon extrême envie de vous voir uniquement à la tête des lettres, vivant en philosophe, cependant je vous pardonne d'être archevêque.
Je ne trouve qu'une bonne chose dans le testament attribué au cardinal de Richelieu, c'est qu'il faut qu'un évêque soit homme d'état plustôt que téologien. Le métier est bien triste pour qui s'en tient aux fonctions épiscopales. Mais un grand seigneur archevêque peut dans les occasions tenir lieu de gouverneur, d'intendant, de juge, et tant vaut l'homme tant vaut son église. Si vous aviez siégé à Toulouse l'horrible affaire des Calas ne serait pas arrivée.
Je suis obligé de parler icy à votre Eminence d'un archevêque de votre voisinage qui a fait un étrange mandement. Il m'y a fouré très indécement. C'est mr d'Auch. Il prenait bien son temps! tandis que je faisais mille plaisirs à son neveu, qui est un gentilhome de mon voisinage. On dit que c'est un Patouillet jésuitte qui est l'autheur de ce mandement brûlé à Toulouse. Il faut que ce Patouillet soit un fanatique bien mal instruit. Il ne savait pas que j'avais receuilli deux jesuites dont l'un est mon aumônier et l'autre demeure dans un de mes petits domaines. Le temps où nous vivons monseigneur demande des hommes de votre caractère et de votre esprit à la tête des grands diocèses. Comme je ne suis qu'un profane, je n'en dirai pas davantage, et je vous demande votre bénédiction.
Je voudrais bien que vous pussiez lire la tolérance. Je crois que vous y trouveriez quelques uns de vos principes. L'ouvrage est un peu rabinique, mais il vous amuserait.
J'aurai l'honneur d'écrire à votre éminence quand elle sera tranquile au pays des Albigeois, et débarassée de la grosse besogne. Je la supplie de me conserver ses bontez et d'agréer mon très tendre respect.
V.