1756-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Je ne sçai si votre altesse sérénissime se ressouvient qu'elle voulait dans sa dernière lettre que je me fisse un peu téologien.
J'ay tâché de prendre mes degrez pour vous plaire, j'ay fort augmenté mon sermon mais j'ay peur d'y avoir fouré quelque hérésie. Plus je réfléchis sur le mal qui inonde la terre, et plus je retombe dans ma triste ignorance. Je souhaitte seulement que cet axiome tout est bien se trouve vrai pour votre personne et pour toutte votre auguste famille. Il me semble cependant que tout aurait pu être mieux pour vous sans cette mauditte bataille de Mulberg mais enfin malgré tous les maux que les querelles de région répandirent autrefois sur votre maison vous régnez paisiblement sur des états où vous êtes adorée, et V. a. s. ajoute la considération personnelle la plus distinguée aux respects que sa naissance et son rang luy attirent. Elle cultive son esprit par les lettres. Elle fait tout le bien qu'elle peut faire. Enfin le nouvau proverbe tout est bien, est vray à Gotha.

On dit que tout est mal chez les anglais en Amerique, et chez les français sur mer. Les sauvages alliez de la France ont détruit et mis à feu et à sang Philadelfie capitale de la Pensilvanie à ce que mande un jésuite iroquois à un jésuitte lorrain. Les anglais se vangent en prenant tous les vaissaux français qu'ils rencontrent. Le roy de Prusse les empêche au moins de se battre en Allemagne, et je croi que son dernier traitté n'a pas déplu à votre nation.

V. a. s. croirait elle que le roy de Prusse vient de m'envoyer un opéra en vers français de sa façon. C'est ma tragédie de Merope qu'il a mise en vers liriques. Je luy suis très obligé de cette galanterie. Je luy aurais plus d'obligation, s'il réparait le mal qu'on a fait dans Francfort à une dame respectable et à moy. Cette réparation serait plus glorieuse pour luy qu'un opéra. Mais ses injustices sont moins présentes à mon cœur que vos bontez. Je suis bien fâché madame d'être loin de V. A. S., et de n'être pas à portée de dire tous les jours à la grande maitresse des cœurs combien je révère la vraye Dorothée, la plus respectable, la plus aimable princesse de la terre à qui je serai attaché pour jamais avec le plus profond respect.

V.