à Paris ce 14 mars 1744
Il y a trois mois ma chère Nièce qu'on me fait coucher à quatre heures du matin.
Je me relève fort tard et fort malade. Je cours dans Paris soit pour affaires soit pour cette Merope qui n'a pas Laissé d'estre pour moy une Nouvelle source de fatigue. Je me trouve Je ne sçay Comment surchargé de travail au sein de L'oisiveté, et en Courant après Le fantôme du plaisir La réalité m'Echape. Je dis tous les soirs j'Ecriray demain à ma Nièce et le lendemain Je me Couche avec des remords de N'avoir point Ecrit.
Toujours malade, et toujours occupé de rien, fort honteux et fort fatigué de ma vie je vous Ecris àprésent en me razant et En dictant ma lettre avec une collique horrible, une médecine dans Le Corps et Cent sotises dans La tête.
J'ay pourtant écris assés régulièrement quand vous aviés une petite affaire qui me subjuguoit et qui triomphait de ma paresse. Après cela je suis retombé dans mon péché et je suis devenus aussy paresseux que made de Fontaine vôtre sœur. Faites un peu ma paix avec monsieur Denis ma chère Nièce, et dites luy bien que L'exès de paresse où je suis tombé ne dérobera jamais rien à ma tendre amitié et à mon zèle pour son service. La place de mr de st Martin me paroit si sûre que je crois qu'il faut vous En faire compliment d'avance. Je n'ay point Encore vû mr de Séchelle, mais J'yray demain le voir à Versailles si je me porte bien.
Je vais tâcher de vous Envoyer par la poste avec La permission des fermiers généraux, deux Exemplaires de Merope. Vous me faittes une vraye peine ma chère Nièce, en ne vous faisant point rembourser un balot de Livres que je vous addressay Il y a quelques mois et vous me génés d'autant plus que J'ay pris Encor La liberté d'ordonner depuis peu qu'on vous En adressa un autre d'Amsterdam. Vous ne voulés donc pas Etre mon Entrepos? Je vous demande En grâce très sérieusement, de m'Envoyer Le Compte de ce que je vous devray car Enfin il ne faut pas voler sa nièce. Je ne vous parle point des nouvelles publiques, tout le monde En est Egalement instruit, mais je vous prie de m'en dire de vous et de mr Denis. Elles me sont beaucoup plus chères.
Pardon ma chère nièce, je suis malade, je ne sçai ce que je fais ny ce que je dicte. Je vous embrasse tendrement.
V.
J'ay dicté ce chifon dans mon lit à un domestique qui écrit fort mal.