ce 7 avril 1744
Je pars pour Cirey ma chère nièce avec la douleur d'être encor plus loin de vous, et moins à portée de recevoir vos lettres.
Mais cette douleur est bien plus vive par l'incertitude où vous me mettez sur la santé de monsieur Denis. Pourquoy faut il que j'aille à Cirey aulieu de venir vous consoler à Lile et partager vos soins? Vous savez qu'après vous je me vante d'être la personne de ce monde qui aime le mieux mr Denis. Ainsi jugez de mon cœur par le vôtre. Il aura besoin d'une bonne santé cette campagne. Je soupçonne que son mérite luy attirera de nouvelles occupations. Ce n'est pas ma faute si mr de st Martin ne luy a pas encor fait place. J'ay vu mr de la Porte, il est comme moy, fort fâché d'être loin de vous. Mais en me ressemblant il ne m'égale pas, et je n'ay pas besoin d'être votre oncle pour l'emporter sur luy en sentiments, qui vous regardent.
Votre sœur vous donne toujours des exemples que vous ne suivez point. Elle est grosse. Vos partages sont un peu différens; c'est vous qui avez le plaisir, et c'est elle qui acouche. Je vais de mon côté acoucher d'un divertissement dont je suis chargé pour les noces de madame la dauphine, mais je n'acoucheray pas du moindre fœtus que vous ne m'ayez mandé que Mr Denis est en bonne santé. Il faut que le cœur soit content pour que le génie travaille à son aise. Madame du Chastellet vous fait mille compliments. J'embrasse mr et me Denis du meilleur de mon âme. Bonjour et adieu ma chère nièce, je pars.
V.