à Genêve 30e May 1765
Le malade réformé à la suitte de Tronchin, envoie aux malades de Paris les réponses de l'oracle d'Epidaure.
Mais je vous répéterai toujours, mon cher ami, qu'une sœur du pot fait plus de bien à un malade qu'elle soigne, qu'Esculape n'en peut faire en dictant ses ordonnances de cent lieues. D'ailleurs, Mr Tronchin n'a pas un moment dont il puisse disposer, et ne peut donner au nombre prodigieux de consultations dont on l'accable, toute l'attention qu'il voudrait. Je vous exhorte, mon cher ami, à ne pas négliger de faire voir vôtre mal de gorge à quelqu'un à qui vous aurez confiance.
Nos amis qui ont fait ce charmant ouvrage de la justification de la gazette Littéraire, doivent être affligés qu'il ne paraisse pas. Mais tout doit céder aux désirs de M: Le Duc de Praslin. Cette gazette littéraire est dans son département, c'est lui qui la protége, c'est à lui à décider de ce qui doit être publié, et de ce qui doit être supprimé. Gabriel Cramer à qui on avait envoié le manuscrit veut bien sacrifier son édition; il lui en coûtera son argent; un libraire de Hollande ne serait pas si honnête. J'ignore si l'ouvrage était connu de M. le Duc De Praslin. Il se peut que vos amis ne l'aient pas consulté, et qu'ils se soient reposés sur l'envie de lui plaire; en ce cas, il n'est tenu à rien, et ne doit aucun dédommagement. D'ailleurs, la quantité de livres écrits librement est si grande dans l'oisiveté de la paix, que je conçois bien que tout ce qui vient de l'étranger est suspect. Les Lettres de ce fou de Deon, de cet autre fou de Vergi, l'espion chinois, la vie de Made De Pompadour, les récriminations de la société de Jésu, inondent l'Europe. Toutes les fois qu'il paraît un nouveau livre je tremble. Il a beau être détestable, je crains toujours qu'on ne me l'impute. Je voudrais n'avoir jamais rien écrit. C'est une barbarie de m'avoir attribué ce dictionaire philosophique dont plus de quatre auteurs sont assez connus. Il n'y a point d'homme de Lettres et de goût qui ne sente la différence des stiles.
Pour le fatras caldéen et siriaque de L'abbé Bazin, je m'y perds. Il n'y a que des calomniateurs bien maladroits qui puissent dire au Roi que j'aie fait un tel ouvrage. Je ne crois pas qu'il y ait un bénédictin en France qui soit capable d'en être l'auteur. Je suis bien las d'être en butte aux discours des hommes. Dans quelle solitude faut-il donc s'ensevèlir? Adieu, mon cher ami, plaignez et aimez vôtre ami.
Voltaire