5 mars 1770
Mon cher ange, je devrais m'adresser à st Cucufin mon confrère, mais je vous donne la préférence.
Mr Bouvard vient souvent chez vous; je vous prie de lui communiquer ma petite requête. Il conduit si bien la santé de made d'Argental que j'ai en lui une extrême confiance. Je sais bien qu'il ne l'a point mise au lait de chèvre; mais comme je suis plus sec, plus vieux, plus attaqué que mad. Dargental, je veux absolument tâter du lait de chèvre, et que mr Bouvard soit de mon avis. Ainsi je vous demande votre protection; plaidez pour ma chèvre, je vous en prie.
Vous avez vu sans doute la belle pancarte du roi d'Espagne signée D'Aranda, par laquelle on coupe les ongles jusqu'au vif au très révérend grand inquisiteur, archevêque de Pharsale. Cet archevêque me paraît être l'aumônier de Pompée. Le voilà battu sans ressource.
Tout capucin que je suis, je ne laisse pas de bénir dieu de cette petite mortification donnée à mr de Pharsale.
Vous devez savoir si cet archevêque de Pharsale n'est pas confesseur du roi. Ayez la bonté, je vous prie, de me le mander; car je m'intéresse vivement à toutes les affaires ecclésiastiques.
Je crois que vous n'ignorez pas ma nouvelle dignité. Je pense vous avoir mandé que j'avais reçu mes provisions de notre révérend père général Amatus Allamballa, et que j'en avais la première obligation à made la duchesse de Choiseul. Si elle a la ceinture de Venus j'ai le cordon de st François.
On dit que si mr l'abbé Terray continue son petit train, nombre d'honnêtes gens seront obligés de quêter comme mes confrères.
Croiriez vous, qu'on a imprimé à Toulouse, une certaine histoire générale des mœurs et de l'esprit des nations à l'usage des collèges, avec privilège du roi; qu'un docteur de Sorbonne, professeur en histoire, enseigne publiquement, et que tout le parlement va l'entendre? Vous voyez comme dieu bénit ceux qui sont à lui.
Mille tendres respects a mes deux anges.
† frère François capucin indigne